● Cinéma, Les nouveaux chiens de garde

Un documentaire de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, sort le 11 janvier 2012.
En France, quelques grands groupes financiers et industriels ont formé des conglomérats de presse en prenant possession de différents médias. Le groupe Lagardère (EADS) détient Paris Match, le Journal du Dimanche, Elle, Europe 1, ainsi que de nombreux journaux régionaux. Le groupe Bouygues (BTP) est à la tête de TF1 et de la chaîne d'information LCI. Le groupe Bolloré (transports, énergie...) possède Direct 8 et Direct Matin...
«C’est un film qui vous saisit, vous tient fermement du commencement à la fin. Et vous fait terriblement réfléchir. » COSTA-GAVRAS

Gilles Balbastre
Réalisateur iconoclaste. Il coréalise «Les Nouveaux Chiens de Garde », un film au vitriol sur le petit monde des médias. On ne regardera plus jamais sa télé comme avant.

Votre film est l'adaptation d'un essai du journaliste Serge Halimi publié en 1987 qui livrait une critique sévère des médias. Vous dénoncez, notamment, le fait que les médias soient concentrés dans les mains de quelques groupes industriels.
Aujourd'hui, les journalistes passent sans cesse d'un média à un autre, du public au privé, et s'abstiennent de critiquer les groupes industriels qui sont patrons de presse car cela serait prendre le risque de s'attaquer à un futur employeur potentiel. Le chantier de l'EPR à Flamanville dont Bouygues réalise les travaux est un exemple flagrant. Il y a des problèmes de coulage de béton et TF1 (ndlr: qui est détenu par Bouygues) n'en dit pas un mot. Mais ce qui est le plus grave, c'est que les autres médias n'en parlent pas non plus!

Votre film s'appuie sur des archives télévisuelles et sur des images de rencontres dans des cercles de pouvoir. Ces images montrent de manière habile la collusion des élites.
Le film s'ouvre sur une séquence très connue de 1963 ou le ministre de la communication Alain Peyrefitte s'invite pour présenter la nouvelle formule de journal télévisé. Cette séquence est emblématique d'un soi-disant "âge préhistorique" des journaux télévisés. Mais en réalité les choses n'ont pas tant changé que cela! Le film pointe la corruption d'une partie du monde journalistique, sa proximité avec le pouvoir politique, l'argent et le monde des affaires. On y voit qu'ils fréquentent les mêmes milieux. Il y a entre eux une proximité de classe. Tous se renvoient constamment l'ascenseur !

Vous dénoncez notamment la pratique des "ménages".
Des journalistes vendent leur image à des entreprises lors de séminaires en se fichant complètement des conflits d'intérêt.
Dans le film, on contacte une agence de recrutement pour connaître les personnalités et les tarifs de ceux qui réalisent ces "ménages". On découvre par exemple qu'Isabelle Giordano, qui vend son image pour en 12000 euros, a fait notamment une prestation pour la banque Sofinco... tout en recevant le directeur de com de cette même banque dans son émission Service public sur France Inter !

Vous épinglez aussi ceux qu'on appelle les «experts», ces économistes ou ces chercheurs qui sont régulièrement invités sur les plateaux télé et radio.
Nous avons décompté que des économistes hétérodoxes comme Frédéric Lordon et Jean Gadrey sont invités vingt à trente fois moins sur les plateaux en une année que des personnalités libérales pronant la dérégulation comme Alain Minc, Michel Godet, Jean-Hervé Lorenzi, Elie Cohen ou encore Daniel Cohen... Ce qu'on ne sait pas, c'est que ces experts-là sont directement employés par les puissances financières: Daniel Cohen est conseiller de la Banque Lazard, Élie Cohen est administrateur des Pages Jaunes, Lorenzi est chez Rothschild, etc. Savoir cela balaie la légitimité de leurs expertises. Mais cela n'est jamais dit.

C'est aussi le traitement de l'information sociale qui est critiquée dans votre film.
Oui. On a voulu montrer qu'il y a une vision de classe des journalistes. Les chiens de garde sont là pour siffler le rappel à l'ordre, par exemple quand la classe ouvrière dépasse les limites de la contestation autorisée. La seule grève admissible, c'est quand des multinationales qui font des profits scandaleux délocalisent et que les salariés pleurent et tendent la main. Alors là, c'est du social propre. Mais si la boîte ferme et que les salariés séquestrent le patron, alors là c'est inadmissible.

Propos recueillis par Cyrielle BLAIRE "La CGT ensemble" Janvier 2012