● Bernard THIBAULT sur RTL le 3/09/2012

 

"Le discours social n'a pas changé depuis les élections"

 

 

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Le secrétaire général de la CGT répondait aux questions de Jean-Michel Aphatie lundi matin.
 

Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Bernard Thibault.

Bernard Thibault :
Bonjour, Jean-Michel Aphatie.

Vous êtes déçu par François Hollande ?

Non, il n'est pas question de déception, ce n'est pas ça qui est à l'ordre du jour aujourd'hui.

Alors, c'est quoi ?

C'est la nature des mesures à prendre face à une situation qui est dramatique sur le plan social et économique.

3 millions de chômeurs, c'est le chiffre donné hier par le Ministre du travail, qu'est-ce qu'il faut faire alors ?

J'irai même au-delà moi. Je pense qu'il faut aussi mettre en avant qu'il y a entre cinq et six millions de nos compatriotes qui sont en situation de sous-emploi. Il ne suffit pas de parler de ceux qui ont un emploi, la nature de cet emploi et particulièrement lorsqu'il est instable, à temps partiel, très souvent subi, dont les femmes sont d'ailleurs les principales victimes, c'est aussi une réalité. Il n'y a donc pas que la situation des sans emplois, qui est naturellement une des urgences, mais aussi le sous emploi c'est aussi quelque chose de considérable qui touche cinq à six millions de personnes

Sous emploi, travail précaire, qu'est ce qu'il faut faire alors ?

C'est tout le débat de la période, c'est tout le débat de la période qui a été un des sujets, le jour de la conférence sociale de juillet, où le gouvernement a notamment dit, pas uniquement, mais notamment dit que les bases des négociations qui avaient été calées par l'ancien pouvoir politique, les accords compétitivité-emplois, étaient terminés et qu'il fallait discuter de la sécurisation de l'emploi, et de la sécurisation aussi pour les salariés. Depuis chacun l'a remarqué, le patronnât et singulièrement le MEDEF fait une pression très forte, a fait les gros yeux au sortir de la conférence sociale de juillet, estimant que le discours n'était pas conforme aux besoins des entreprises. Il faut rappeler au MEDEF qu'il y a eu des élections, présidentielles, il y a eu des élections législatives, il y a eu un choix majoritaire par nos concitoyens de sortir de la politique faite jusqu'à présent .

Ces élections n'étaient pas hostiles aux entreprises ?

Non défendaient en tous cas nous l'avons fait comme telle, nous avons milité pour un changement de président de la République, mais nous n'avons pas milité que pour un changement de président de la République. Nous avons milité pour un changement de président de la République pour avoir d'autres décisions sur le plan économique et social.

Il faut baisser le coût du travail disait hier dans le Journal du Dimanche, votre homologue de la CFDT, François Chérèque : baisser le coût du travail parce que dit Chérèque, c'est la seule chose qui permettra de redonner du travail à tout le monde pour que nos entreprises redeviennent compétitives.

C'est ce que dit aussi le MEDEF.

Ils se trompent tous les deux ?

Nous avons une différence de diagnostic à ce propos. Nous récusons le fait que la crise économique, la crise sociale, le niveau du chômage s'expliquent d'abord et principalement par des salariés qui en France, coûteraient trop chère, ou bénéficieraient d'une législation sociale en matière de temps de travail, par exemple, trop rigide selon les employeurs. On a le même discours avant qu'après les élections. Et c'est en ce sens que je me suis déjà exprimé à l'égard du gouvernement, qui va devoir par exemple orienter la future négociation sur ce que nous devons faire pour sécuriser l'emploi. Nous ne refusons pas le débat sur la compétitivité..

C'est pas sécuriser l'emploi, quand il y a trois millions de chômeurs, il faut donner de l'emploi, il ne faut pas le sécuriser. C'est donner à ceux qui n'en n'ont pas. Qu'est ce qu'il faut faire ?

Il faut regarder quels sont les facteurs qui jouent au détriment de l'emploi ? Quels sont les facteurs qui augmentent le chômage ?

Lesquels, allez-y, on vous écoute.

On nous dit depuis des années, il faut plus de flexibilité pour avoir plus d'emplois. C'est ce qui se fait dans tous les pays européens. Le chômage n'a jamais été aussi important dans les pays européens.

Quels sont d'après vous, les facteurs qui provoquent le chômage ?

Le sous-investissement dans les entreprises. IL est recherché aujourd'hui d'abord un revenu au capital investi. On n'investit pas dans l'appareil de production, on investit dans le domaine financier. C'est ce qui rapporte le plus d'argent. Naturellement investir dans le domaine financier, ça ne crée pas autant d'emplois que si on investit dans les usines.

Sous-investissement d'accord ? Et puis ?

Sous-engagement dans la formation professionnelle. Faisons les comparaisons internationales.

On dépense de l'argent pourtant pourtant pour la formation professionnelle.

Mais oui mais regardez de la manière dont elle est distribuée, de manière très inégalitaire, et en tous cas, inférieure par exemple, on nous fait la comparaison avec l'Allemagne, très inférieure à nos voisins allemands. Nous diffusons aujourd'hui des produits qui baissent de gamme, par un manque de formation professionnelle et de technologie sur des produits nouveaux.

C'est quoi au fond le problème de la France, on a de mauvais patrons ?

Il est temps de reconnaître des droits nouveaux aux salariés parce que je voudrais rappeler qu'après les universités d'été du MEDEF, que l'entreprise, ça n'est pas que les employeurs ou les investisseurs. Les entreprises ce sont aussi les salariés, et il y a de trop nombreux cas, où on n'écoute pas l'opinion de ceux qui travaillent dans les entreprises sur ce qui est bon pour les entreprises. Ne pensons pas et que les employeurs ne pensent pas que les salariés veulent jouer contre leur entreprise.  Leur avenir dépend de l'avenir de leur propre entreprise. Et c'est parce qu'ils constatent très souvent que les actionnaires ne jouent pas forcément pour l'avenir, la pérennité de l'entreprise, mais jouent pour leur propre situation d'actionnaire, qu'ils sont critiques, mais pour l'instant ils ne sont pas entendus sur ce qu'il conviendrait de faire.

Le redressement de la France ne se fera pas sans les entreprises, a dit Jean-Marc Ayrault la semaine dernière...

Elle ne se fera pas non plus au détriment de l'avenir et des garanties des salariés.

On voit avec cette phrase "le redressement de la France ne se fera pas sans les entreprises", le gouffre qui vous sépare aujourd'hui du gouvernement.


Les entreprises se sont aussi les salariés qui la composent.

Mais le gouffre qui vous sépare du gouvernement, on est d'accord ?

Non, il n'y a pas de gouffre qui nous sépare du gouvernement. Il y a un débat ..

Vous avez souhaité l'installation de ce gouvernement, et visiblement vous êtes très loin aujourd'hui les  uns des autres.


Mais non, on est dans une période de crise internationale, tout le débat et pas seulement en France, et ça oppose la plupart des syndicalistes à beaucoup de gouvernements, aux autorités  européennes : la nature des mesures à prendre pour sortir de cette crise. Si on n'en change pas structurellement un certain nombre d'approches sur le terrain économique et social, si on continue de dire alors qu'à l'évidence, ce n'est pas la réalité, c'est de la faute des salariés si nous sommes dans cette crise internationale, on continuera de voir la CGT s'opposer à cette approche.

Et de votre point de vue, Bernard Thibault, on n'est pas bien parti pour changer d'optique en France ?

Pour moi, pour l'instant, les jeux sont ouverts, les jeux sont ouverts, nous n'allons pas laisser le MEDEF être seul à défendre ses arguments. C'est l'objet de la perspective de mobilisation du 9 octobre où nous proposons de nous mobiliser sur l'emploi, sur l'avenir de la politique industrielle du pays, l'avenir des entreprises. Nous nous faisons piller l'appareil industriel français. Ou nous restons spectateurs, ou nous prenons des mesures pour éviter cette situation.