● Dépendance, qui va payer ?

Nicolas Sarkozy en ferait une priorité. Selon lui, l'aide à l'autonomie des personnes âgées représente «un enjeu absolument national qu'il faut affronter». Certes. Mais comment ?

Les pistes engagées par le gouvernement reflètent une politique libérale qui fait la part belle aux assurances privées. La CGT réaffirme la nécessité d'une réponse publique, dans le cadre de la solidarité nationale. Enquête.
Par Nadège Dubessay
La Nouvelle Vie Ouvrière ( Le magazine de la CGT du 3 décembre 2010)

Il est un fait, inéluctable. La France pourrait compter quelque 200 000 centenaires en 2060, soit treize fois plus qu'aujourd'hui. Le nombre de personnes de plus de 60 ans devrait augmenter de plus de 10 millions d'ici là. Elles représenteraient ainsi le tiers de la population. Une réalité qui nécessite de se pencher sérieusement sur les questions de prévention et de prise en charge de la dépendance. Tout le monde s'accorde là-dessus.

Mais l'annonce de Nicolas Sarkozy, le 16 novembre dernier, de créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale «pour la première fois depuis 1945» ne fait pas consensus.

Le chef de l'État l'affirme d'emblée l'affaire est «considérable». Ce dernier souhaite néanmoins bâtir «un système juste et équitable pour qu'une personne âgée puisse vivre dignement». Bien. Seulement, après avoir exprimé sa volonté de «lancer une grande consultation qui va durer six mois», le président «s'interroge» à haute voix quant au financement.

«Faut-il un système assurantiel et obliger les gens à s'assurer ?»
«Faut-il augmenter la CSG ?»
«Faut-il avoir un recours sur succession quand les enfants n'ont pas la volonté ou les moyens ?»

Quelques pistes lâchées qui en disent long sur les réelles intentions de notre gouvernement. Et qui ne sortent pas spontanément de l'imagination débordante du président.

Des rapports qui prônent le recours massif aux assurances

Dans son rapport sur la prise en charge des personnes âgées, déposé le 23 juin, la députée UMP de Meurthe et-Moselle Valérie Rosso-Debord, arguant de l'impossibiité pour les finances publiques d'assumer les 30 milliards de dépenses que coûtera la perte d'autonomie des personnes âgées, trace ni plus ni moins que les grands axes d'une privatisation du «risque dépendance». Avec notamment l'obligation de souscrire une assurance dépendance dès 50 ans. De relever le taux de la CSG retraité, actuellement de 6,6 %, au niveau des actifs, soit 7,5 %. D'exclure du bénéfice de l'APA (aide personnalisée d'autonomie) les Gir4, alors qu'ils représentent 45 % des allocataires. Les allocataires devront choisir entre une allocation perte d'autonomie à taux plein, à condition d'accepter un droit de reprise sur la succession future, ou une allocation diminuée de moitié sans reprise sur la succession.

En juillet dernier, la mission commune du Sénat sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque rendait public son rapport d'étape. Dans le droit fil des orientations gouvernementales dévoilées fin mai, les parlementaires plaidaient pour une meilleure prise en compte du patrimoine dans le calcul de l'APA, entendez le recours à la succession.

Enfin, l'institut SilverLife, centre de recherche sur l'économie du vieillissement, suggère de remplacer l'APA par une «prestation dépendance» qui bénéficierait avant tout aux personnes lourdement dépendantes (Gir 1 et 2).
Le document, rendu mi-septembre, consacre l'idée d'une intervention massive des assureurs, favorisée par une définition commune de la dépendance. Et puis, il y a ces annonces, ici et là, dont celles du député UMP Laurent Hénart qui préconise la suppression d'une journée de RTT au bénéfice du financement de la dépendance. «Il faudrait, si on allait dans ce sens, supprimer la cinquième semaine de congés payés, ce que personne ne défend», ironise l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).

LE GOUVERNEMENT VEUT FAIRE PORTER LE FINANCEMENT SUR LES PERSONNES ÂGÉES, LEURS AYANTS DROIT, LES SALARIÉS

Pour de nombreuses associations, l'assurance ne doit en aucun cas se substituer à la solidarité nationale et aux financements existants.

Associations et syndicats inquiets

De nombreuses associations ont d'ores et déjà manifesté leurs inquiétudes, notamment sur la place qu'occuperont les assurances privées dans la réforme. Pour la Fédération nationale Avenir et qualité de vie des personnes âgées (FNAQPA), l'assurance «ne doit en aucun cas se substituer à la solidarité nationale et aux financements existants». Idem pour l'AD-PA qui milite pour «la mise en place d'un financement basé sur la solidarité nationale».

Son président, Pascal Champvert, s'interroge sur l'intervention du Premier ministre, deux jours après celle du Président, qui «étend la démarche annoncée de la création d'un cinquième risque à une réflexion sur les équilibres de la protection sociale». Ce dernier rappelle que l'AD-PA attend «que l'on indique comment on financera la nouvelle prestation, afin de ne pas créer un déficit nouveau». Mais pour autant, «l'indispensable amélioration de l'aide aux personnes âgées et handicapées ne doit pas être noyée dans des problématiques trop larges». «Avec l'assurance privée, les prestations fournies aux personnes dépendront de la cotisation qu'elles auront personnellement versée, donc selon qu'on soit riche ou pauvre, on sera plus ou moins bien aidé», s'indigne Pierre Béhar, de l'Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA).

Pour Ghislaine Rouafi, animatrice du collectif personnes âgées de la fédération CGT de la Santé et de l'action sociale, les choses sont claires: «le gouvernement veut engager le moins de fonds possible etfaire porter le financement de la dépendance sur les personnes âgées, leurs ayants droit, les salariés».

Quant au recours sur succession - lorsque les enfants ne veulent ou ne peuvent payer pour leurs aînés - «il ne faut pas oublier qu'avant l'APA, existait la prestation spécifique dépendance. Elle était très peu demandée par les personnes âgées justement parce qu'il y avait un recours sur succession. Ceux qui avaient travaillé toute leur vie souhaitaient transmettre leur patrimoine - si petit soit-il - à leurs enfants. Ce recours sur succession serait vraiment injuste». La responsable syndicale alerte sur ce cinquième risque, «qui ne doit pas être financé par un système d'assurance obligatoire». Elle rappelle que «le risque dépendance ne couvrira jamais l'hébergement en établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui restera à la charge des familles et de la personne âgée».

Dans les Ehpad publics, le tarif journalier varie entre 50 à 57 euros. Dans un établissement privé, le tarif, s'il n'est pas soumis à l'aide sociale, peut aller au-delà de 100 euros par jour. Des sommes exorbitantes, qui peuvent atteindre 4 000 euros par mois...

Ces maisons de retraite médicalisées dépendent du secteur médico-social géré par les départements. «Il reste à charge en moyenne 2 200 euros pour le résident et la famille dans les établissements publics ou privés à but non lucratifs, après déduction de l'APA. Dans l'immense majorité des cas, les enfants aident les parents à payer», constate Bernard Liot, de la Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leur famille.

Comment faire autrement, alors que le niveau moyen des pensions s'élève à 1 063 euros par mois? «Nous sommes le seul secteur économique où l'on demande aux gens de payer deux fois plus que leurs ressources parce qu'ils sont âgés», dénonce Pascal Champvert.

Les personnes âgées, premières victimes du manque de personnel
Témoignage 

Michel Julien, aide soignant à la maison de retraite Saint-Jacques de Marvejols (Lozère) témoigne de son expérience. «La personne âgée a besoin de toute notre attention, de soins. C'est ce qui m'a motivé pour travailler ici. Dans cette maison de retraite publique, nous accueillons 80 résidents. Aujourd'hui, la personne qui arrive en établissement est de plus en plus dépendante, polyhandicapée. Il faut l'aider pour tous les gestes de la vie quotidienne: la toilette, manger, boire... Mais nos conditions de travail ne cessent de se dégrader.

Ces personnes demandent un soin plus important que nous ne pouvons offrir faute de personnel suffisant.

Dans les Ehpad, le taux d'encadrement soignant est de quatre professionnels pour dix résidents.
Au Danemark, par exemple, le ratio est d'un soignant pour un résident. Les personnes âgées subissent les conséquences directes de ce manque. Elles passent des journées à regarder le mur devant elles, mangent rapidement... Dans mon service, nous sommes deux aides-soignants pour faire manger 18 résidents en une heure. La toilette complète ne doit pas dépasser cinq minutes... Nous vivons très mal ces conditions et beaucoup de mes collègues sont sous antidépresseurs...»

L'aide à domicile, oui mais...

Très concernés par les débats portant sur la perte d'autonomie, les conseils généraux. Et pour cause ! Ce sont les financeurs de l'APA, à hauteur de 5,6 milliards d'euros en 2010.

Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, se dit favorable au maintien d'une allocation universelle. Selon lui, le recours à la succession est un faux débat. «La question essentielle, dit-il, c'est l'imposition du patrimoine. Comment fait-on payer ceux qui possèdent un patrimoine immense au moment de sa transmission ?». Le président de l'ADF botte en touche les rapports qui prétextent de l'asphyxie financière des conseils généraux pour condamner L'APA. «Nous n'avons plus d'argent parce que le gouvernement nous étrangle! En 2010, L'APA, la prestation de compensation du handicap et le RSA auront coûté 13,4 milliards aux départements.

Or, l'État n'aura compensé cette dépense qu'à hauteur de 7 milliards. Il nous doit plus de 5 milliards!» Les départements doivent-ils garder le financement de ces allocations? La question est en débat au sein de l'ADF. «Nous sommes pour le financement par une solidarité nationale. En revanche, nous souhaitons garder la responsabilité de l'accompagnement à l'autonomie des familles et des personnes handicapées», avance Claudy Lebreton.

Le grand gagnant, dans un système tel que le voudraient nos gouvernants, serait finalement l'emploi direct à domicile, avec toutefois les risques qu'il comporte. «Les services d'aide à la personne doivent bénéficier de personnels qualifiés, formés, ce qui n'est pas toujours le cas», constate Ghislaine Raouafi. «Dans certaines régions, les infirmiers font défaut. La prise en charge de la personne âgée et du soin qui va avec doit rester un véritable métier. Il s'agit bien d'une équipe pluridisciplinaire à mettre en place. Et puis, la personne âgée ne doit pas rester chez elle par défaut: faute de place dans un établissement, faute d'argent pour le payer». Bernard Liot renchérit: «s'occuper d'une personne âgée, même s'il ne s'agit pas de soin, nécessite un minimum de formation. Or actuellement, les associations sont concurrencées par de petites sociétés privées qui s'intéressent de plus en plus à l'aide à la personne et qui fleurissent ici et là, embauchant un personnel non qualifié, afin de proposer des tarifs attrayants». Résultats, «plusieurs associations ont été contraintes de mettre fin à leur activité en ne pouvant plus continuer à aider les personnes concernées et en licenciant leur personnel», constate Pascal Champvert.

Une réponse publique pour un enjeu de société

La perte d'autonomie est un enjeu de société auquel la collectivité nationale doit apporter une réponse satisfaisante. Et tout laisse à penser que le gouvernement entend s'emparer de cette question de la même manière que celle des retraites. Il n'y aurait plus d'argent, nous bassine-t-on. Pour mieux nous faire passer la sauce d'un système libéral basé sur la marchandisation. Faux, rétorque Ghislaine Raouafi. «Il faut savoir que la totalité des fonds de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) n'a pas été utilisée. La CNSA a fini l'année 2009 avec 4.50 millions d'euros d'excédent. Une somme rendue à l'État ou à la Sécurité sociale pour la branche maladie, mais pas utilisée pour les personnes âgées ou handicapées». Et que dire des 175 milliards d'euros de niches fiscales, le tiers du budget de la nation?

Sans compter le nombre d'emplois créés, si la France prenait exemple sur le Danemark où s'impose la norme d'un soignant pour un résident. «Lorsque la communauté dépense 7 milliards pour les personnes retraitées ou en situation de handicap, c'est plus d'un million d'emplois créés dans le pays, calcule Claudy Lebreton. Et puis, il s'agit d'emplois locaux, qui répondent à la politique d'aménagement du territoire». Aujourd'hui, dans de nombreux cantons ruraux, le premier employeur est la maison de retraite, le deuxième, le service d'aide à domicile. Pour la CGT, les propositions n'ont pas changé. «Il faut mettre à contribution les hauts revenus, les revenus du patrimoine, tous ceux qui échappent aux charges sociales comme les parachutes dorés, résume Ghislaine Raouafi.

Depuis dix ans qu'il est créé, le collectif personnes âgées de la CGT a toujours apporté des propositions concrètes. Notamment celle d'un financement basé sur la solidarité nationale. La prise en charge de la personne âgée doit rester dans le secteur de l'assurance-maladie», affirme-t-elle. «Quand on se coupe de ses aînés, on se coupe aussi de soi et de son propre avenir», disait Simone de Beauvoir.
À méditer.

En chiffres
La hantise de la dépendance

La Générale de santé, qui gère plusieurs maisons de retraite, distribuait à ses actionnaires en 2007 un dividende de 420 millions d'euros. Les niches fiscales représentent 175 milliards d'euros; le tiers du.budget de la France.

Lés conseils généraux financent l'allocation personnalisée d'autonomie à hauteur de 5;6 milliards d'euros en 2010. En y ajoutant la prestation de compensation du handicap. le chiffre s'élève à environ huit milliards.
La perte d'autonomie constitue, la principale crainte de 56% des Français.

À la question “si demain l'un de vos proches tombait dans un état de totale dépendance, disposeriez vous de suffisamment de moyens pour le prendre en charge?”, près de trois français sur quatre (73%) disent non.

Le sens des mots
Perte d'autonomie ou dépendance ?

Simple question de sémantique? Pas si sûr. Le choix de l'un de ces deux termes n'est pas anodin. La dépendance désigne l'état de la personne âgée qui ne peut plus accomplir seule les activités du quotidien. Le sociologue Bernard Ennuyer décrit la dépendance comme «un état spécifique de la vieillesse, due uniquement à l'âge biologique, signe plus que jamais du refus de la structure sociale de reconnaître sa responsabilité dans le parcours de vie des individus et, de ce fait, la vieillesse est définitivement renvoyée à une approche biomédicale, alors que par essence, elle est d'abord un fait social». Pour les mêmes incapacités et les mêmes besoins d'aides, les adultes de moins de 60 ans, eux, sont qualifiés de handicapés.

Pascal Champvert, président de l'ADPA, dirige également plusieurs maisons de retraite et services à domicile. «Chez nous, dit-il, la personne âgée n'est pas `placée, elle est accueillie». Là aussi, les mots prennent tous leurs sens. «Ici, on n'est pas dans un hôpital. On frappe chez la personne âgée avant d'entrer». L'homme ira piquer des idées au Danemark, en Suisse... il sera l'un des premiers en France à installer une crèche dans une maison de retraite. Il ne parle jamais de dépendance, mais plutôt d'avenir des aînés et d'autonomie. «ça n'est pas la même chose, dit-il. L'enjeu consiste à se demander quelle place nous donnons, dans notre société, aux personnes âgées».

Pour Claudy Lebreton, président de l'assemblée des départements de France, même constat. «Comment bien assumer cette partie de la vie sur terre? Comment faire en sorte d'être dans l'enjeu du bien vieillir dans notre pays, physiquement, moralement,socialement, culturellement? Au-delà des mots, Il s'agit bien d'une question philosophique, sociale, politique».

Pour s'abonner à la NVO CGT