Pour la CGT, l’affaire illustre les dérives
qui pourraient se multiplier si l’État persiste à s’attaquer au
statut des fonctionnaires et développe le recours aux contrats.
Comment Alexandre Benalla, agent contractuel de
26 ans, a-t-il pu avoir autant de pouvoir au sein de l’Élysée,
comme celui de participer à la réorganisation des services de
sécurité de l’Élysée ?
Baptiste Talbot : Déjà, de notre point de
vue, il y a très peu de garde-fous concernant les emplois de
cabinet. On peut recruter un contractuel de gré à gré, fixer de
manière quasi libre sa rémunération et lui confier des missions
qui n’ont pas à être nécessairement clairement définies. Avec
Benalla, on est face à un cas caricatural car il ne serait pas même
situé dans l’organigramme de l’Élysée.
Malheureusement, c’est
assez caractéristique de ce que pourrait devenir la fonction
publique si on laisse Macron mener jusqu’à son terme l’offensive
qu’il a engagée contre le statut des fonctionnaires.
En quoi la contractualisation d’Alexandre
Benalla est-elle significative pour vous ?
Baptiste Talbot : Le cas Benalla illustre
l’image d’un agent de la fonction publique entièrement soumis au
pouvoir politique parce qu’il est contractuel, et donc plus
facilement exposé au licenciement, et une conception de l’action
publique politisée.
Ce type d’emploi sert en fait à récompenser
l’engagement militant de partisans politiques, et ici du pouvoir en
place.
Quand il n’y a pas de règles statutaires qui encadrent
clairement les conditions de recrutement, de rémunération avec des
exigences en termes de qualification, on voit des agents publics
avant tout au service du pouvoir politique.
On récompense une
fidélité politique plutôt qu’une compétence à mettre au
service de l’intérêt général.
Ce risque de politisation et
d’instrumentalisation de la fonction publique nous pose question.
Dans quelle mesure défendre le statut des
fonctionnaires signifie pour vous défendre la démocratie ?
Baptiste Talbot : Le statut pose un cadre
précis, réglementé, avec des exigences, des outils de contrôle.
Normalement, quand on recrute un agent dans la fonction publique, ça
suppose qu’il réussisse un concours correspondant à un niveau de
qualification, l’exposant à un certain nombre de règles de
déroulement de carrière.
Une grille précise fixe la rémunération.
On ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Le statut est
notamment fondé sur le principe de la garantie de l’emploi.
Une
fois recruté, un fonctionnaire est titulaire de son grade, donc il
ne peut pas être licencié du jour au lendemain sauf en cas de faute
lourde. Mais la garantie de l’emploi est une garantie importante,
avant tout pour l’usager.
Ça permet à un fonctionnaire de pouvoir
refuser un ordre illégal et d’être outillé face aux pressions
diverses, partisanes, d’intérêt individuel, financier ou
d’entreprise.
Ce sont des principes cardinaux de la fonction
publique qui permettent aux fonctionnaires d’avoir une indépendance
par rapport au pouvoir politique. Or, Macron veut largement
généraliser l’emploi contractuel. Ce serait la porte ouverte à
toutes les dérives, un renoncement démocratique.
Les autres chantiers en cours dans la fonction
publique vous inquiètent-ils ?
Baptiste Talbot : Effectivement, Macron veut
aussi très largement remettre en cause les CAP (commissions
administratives paritaires – NDLR).
Il s’agit d’une des
instances dans lesquelles siègent les représentants des personnels,
chargés notamment de veiller aux questions de discipline, de
déroulement de carrière, de mutation. Cela permet aussi de traiter
la gestion des personnels de manière collective et de limiter
l’arbitraire de la part des employeurs publics.
Affaiblir les CAP,
c’est créer les conditions demain pour que les agents publics, a
fortiori contractuels, soient largement soumis à l’arbitraire des
employeurs.
Avec, derrière tout ça, un gros risque de politisation
de l’administration.
Soit le « spoil-system » (système des
dépouilles) à l’américaine : quand il y a un changement de
majorité politique, il y a toute une partie du personnel
administratif qui change en même temps que le pouvoir politique.
Une
bataille démocratique se joue autour du statut des fonctionnaires.
On voit bien les dérives que pourraient produire une politisation
accrue et un abaissement du niveau des garanties. Si demain on laisse
les pouvoirs, au niveau national ou local, faire ce qu’ils veulent
du recrutement et de la gestion des personnels, on aura des petites
affaires Benalla un peu partout en France.
La perquisition douteuse du domicile
d’Alexandre Benalla :
Le 20 juillet, des policiers se sont rendus
au domicile d’Alexandre Benalla, à Issy- les Moulineaux
(Hauts-de-Seine), pour y mener une perquisition.
Leur objectif :
récupérer des armes stockées dans une armoire forte. Mais, à leur
grande surprise, le protégé d’Emmanuel Macron n’a pas les clés.
Sa compagne n’étant pas à Paris et le serrurier non disponible,
ils font demi-tour tout en prenant garde de laisser un autocollant,
faisant office de scellés provisoires.
De retour le lendemain, les
policiers peuvent pénétrer dans le domicile, mais l’armoire s’est
évaporée.
Et Benalla de nier toute implication. Interpellé par ces
péripéties, le syndicat de policiers Vigi, partie civile du
dossier, a saisi le 30 juillet le juge d’instruction pour
solliciter une enquête pour des soupçons de dissimulation de
preuves.
« On pourrait croire que le parquet, aux ordres de la
garde des Sceaux et indirectement de l’Élysée, a voulu savonner
la planche avant de passer le dossier », accusent ses membres dans
un communiqué. Remords ou peur d’une condamnation,
Alexandre
Benalla a ramené les armes à la justice le soir même. Mais ce
n’est pas tout, apprenait-on dans le Monde : une autre
perquisition datée du 21 juillet, menée au siège de La REM, a
révélé la présence de deux armes à feux non déclarées.
Une
autre, propriété du mouvement, était, elle, portée par Vincent
Crase, compagnon d’Alexandre Benalla le 1er Mai et salarié de La
REM.
Entretien réalisé par Karen Janselme du
quotidien L’Humanité le 3 août 2018 .