★ Interview de Jean Baptiste Talbot secrétaire général de la fédération CGT des services publics - Démocratie - La fonction publique, antidote au cas Benalla





Pour la CGT, l’affaire illustre les dérives qui pourraient se multiplier si l’État persiste à s’attaquer au statut des fonctionnaires et développe le recours aux contrats.





Comment Alexandre Benalla, agent contractuel de 26 ans, a-t-il pu avoir autant de pouvoir au sein de l’Élysée, comme celui de participer à la réorganisation des services de sécurité de l’Élysée ?

Baptiste Talbot : Déjà, de notre point de vue, il y a très peu de garde-fous concernant les emplois de cabinet. On peut recruter un contractuel de gré à gré, fixer de manière quasi libre sa rémunération et lui confier des missions qui n’ont pas à être nécessairement clairement définies. Avec Benalla, on est face à un cas caricatural car il ne serait pas même situé dans l’organigramme de l’Élysée.

Malheureusement, c’est assez caractéristique de ce que pourrait devenir la fonction publique si on laisse Macron mener jusqu’à son terme l’offensive qu’il a engagée contre le statut des fonctionnaires.

En quoi la contractualisation d’Alexandre Benalla est-elle significative pour vous ?

Baptiste Talbot : Le cas Benalla illustre l’image d’un agent de la fonction publique entièrement soumis au pouvoir politique parce qu’il est contractuel, et donc plus facilement exposé au licenciement, et une conception de l’action publique politisée. 

Ce type d’emploi sert en fait à récompenser l’engagement militant de partisans politiques, et ici du pouvoir en place. 

Quand il n’y a pas de règles statutaires qui encadrent clairement les conditions de recrutement, de rémunération avec des exigences en termes de qualification, on voit des agents publics avant tout au service du pouvoir politique. 

On récompense une fidélité politique plutôt qu’une compétence à mettre au service de l’intérêt général. 

Ce risque de politisation et d’instrumentalisation de la fonction publique nous pose question.

Dans quelle mesure défendre le statut des fonctionnaires signifie pour vous défendre la démocratie ?

Baptiste Talbot : Le statut pose un cadre précis, réglementé, avec des exigences, des outils de contrôle. Normalement, quand on recrute un agent dans la fonction publique, ça suppose qu’il réussisse un concours correspondant à un niveau de qualification, l’exposant à un certain nombre de règles de déroulement de carrière. 

Une grille précise fixe la rémunération. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Le statut est notamment fondé sur le principe de la garantie de l’emploi. 

Une fois recruté, un fonctionnaire est titulaire de son grade, donc il ne peut pas être licencié du jour au lendemain sauf en cas de faute lourde. Mais la garantie de l’emploi est une garantie importante, avant tout pour l’usager. 

Ça permet à un fonctionnaire de pouvoir refuser un ordre illégal et d’être outillé face aux pressions diverses, partisanes, d’intérêt individuel, financier ou d’entreprise. 

Ce sont des principes cardinaux de la fonction publique qui permettent aux fonctionnaires d’avoir une indépendance par rapport au pouvoir politique. Or, Macron veut largement généraliser l’emploi contractuel. Ce serait la porte ouverte à toutes les dérives, un renoncement démocratique.

Les autres chantiers en cours dans la fonction publique vous inquiètent-ils ?

Baptiste Talbot : Effectivement, Macron veut aussi très largement remettre en cause les CAP (commissions administratives paritaires – NDLR). 

Il s’agit d’une des instances dans lesquelles siègent les représentants des personnels, chargés notamment de veiller aux questions de discipline, de déroulement de carrière, de mutation. Cela permet aussi de traiter la gestion des personnels de manière collective et de limiter l’arbitraire de la part des employeurs publics. 

Affaiblir les CAP, c’est créer les conditions demain pour que les agents publics, a fortiori contractuels, soient largement soumis à l’arbitraire des employeurs. 

Avec, derrière tout ça, un gros risque de politisation de l’administration. 

Soit le « spoil-system » (système des dépouilles) à l’américaine : quand il y a un changement de majorité politique, il y a toute une partie du personnel administratif qui change en même temps que le pouvoir politique. 

Une bataille démocratique se joue autour du statut des fonctionnaires. 

On voit bien les dérives que pourraient produire une politisation accrue et un abaissement du niveau des garanties. Si demain on laisse les pouvoirs, au niveau national ou local, faire ce qu’ils veulent du recrutement et de la gestion des personnels, on aura des petites affaires Benalla un peu partout en France.

La perquisition douteuse du domicile d’Alexandre Benalla : 

Le 20 juillet, des policiers se sont rendus au domicile d’Alexandre Benalla, à Issy- les Moulineaux (Hauts-de-Seine), pour y mener une perquisition. 

Leur objectif : récupérer des armes stockées dans une armoire forte. Mais, à leur grande surprise, le protégé d’Emmanuel Macron n’a pas les clés. 

Sa compagne n’étant pas à Paris et le serrurier non disponible, ils font demi-tour tout en prenant garde de laisser un autocollant, faisant office de scellés provisoires. 

De retour le lendemain, les policiers peuvent pénétrer dans le domicile, mais l’armoire s’est évaporée. 

Et Benalla de nier toute implication. Interpellé par ces péripéties, le syndicat de policiers Vigi, partie civile du dossier, a saisi le 30 juillet le juge d’instruction pour solliciter une enquête pour des soupçons de dissimulation de preuves. 

« On pourrait croire que le parquet, aux ordres de la garde des Sceaux et indirectement de l’Élysée, a voulu savonner la planche avant de passer le dossier », accusent ses membres dans un communiqué. Remords ou peur d’une condamnation, 

Alexandre Benalla a ramené les armes à la justice le soir même. Mais ce n’est pas tout, apprenait-on dans le Monde : une autre perquisition datée du 21 juillet, menée au siège de La REM, a révélé la présence de deux armes à feux non déclarées. 

Une autre, propriété du mouvement, était, elle, portée par Vincent Crase, compagnon d’Alexandre Benalla le 1er Mai et salarié de La REM.

Entretien réalisé par Karen Janselme du quotidien L’Humanité le 3 août 2018 .