Ce matin, Sophie Binet et Denis Gravouil participaient à la rencontre organisée par le Premier ministre et la ministre du travail sur la réforme des retraites. Ci dessous, la déclaration prononcée par Sophie Binet lors de cette concertation.
Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les ministres,
Il y a presque 2 ans jour pour jour, le 19 janvier 2023, 2 millions de salariés manifestaient à l’appel de nos 8 organisations syndicales pour la première journée de mobilisation de ce qui devenu ensuite le plus long et un des plus forts mouvements sociaux qu’ait connu notre pays.
Malgré 14 journées de manifestations atteignant jusqu’à 3 millions de personnes, de nombreuses grèves reconductibles et 6 mois de mobilisation, le président de la République a décidé d’imposer cette réforme en force, sans vote des députés, et en fermant systématiquement toutes les portes ouvertes par les organisations syndicales.
2 ans après, cette réforme est toujours au cœur de l’actualité. L’avis des Français et des Françaises est clair, ils et elles l’ont exprimé à chaque fois qu’ils et elles l’ont pu lors de toutes les échéances électorales et le Président, votre prédécesseur et vous-mêmes, Monsieur le Premier ministre, êtes bien placés pour le savoir.
Malheureusement, comme nous l’avions aussi annoncé, les passages en force présidentiels et son refus d’entendre la mobilisation menée par les organisations syndicales se sont traduit par une montée de la désespérance sociale, et ont contribué à nourrir l’extrême droite. L’extrême droite est aux portes du pouvoir et ce n’est encore une fois, que l’immense mobilisation citoyenne et syndicale et la responsabilité des travailleuses et des travailleurs qui a empêché la catastrophe.
Maintenant, les travailleurs et les travailleuses attendent du changement. Pour sortir le pays de la crise sociale, économique, environnementale et démocratique dans laquelle il s’enfonce dangereusement et permettre une stabilité, il faut que les exigences sociales soient enfin entendues.
Cette réforme doit être abrogée, comme toutes les organisations syndicales l’ont encore demandé le 5 décembre dernier. Il faut supprimer les 64 ans, l’accélération de la réforme Touraine, et rétablir les régimes pionniers. Au-delà, la CGT porte la retraite à 60 ans. Il ne s’agit ni d’un totem, ni d’une quelconque revanche. Il s’agit d’une urgence sociale car la réforme fait déjà des ravages que la vague de désindustrialisation en cours aggravera encore.
Alors que l’âge minimum de départ en retraite n’a pour l’instant été repoussé que de 6 mois, à 62 ans et demi, le nombre de personnes de plus de 62 ans inscrites à pôle emploi a augmenté de 50%, les millions de salariés qui exercent des métiers pénibles sont en inactivité parfois dès 50 ans et les femmes, pénalisées par les interruptions de carrière pour élever leurs enfants sont les premières victimes du report de l'âge de départ en retraite. Votre discours de politique générale était l’occasion d’annoncer un blocage immédiat de la réforme permettant à tout le monde de sortir par le haut et ouvrant un chemin vers l’abrogation. Il est toujours temps de le faire et de l’inscrire dans le PLFSS 2025.
C’est techniquement réalisable car les caisses auraient 6 mois pour préparer la génération 1963 à partir au 1er juillet au lieu du 1er octobre. Et c’est aisément finançable, 2 Mds maximum, soit en soumettant intéressement et participation à cotisation, soit même en utilisant le fond de réserve des retraites. Le faire enverrait un signal très fort avec un progrès immédiat et permettrait que nous puissions répondre aux autres urgences sociales : l’emploi, les services publics et les salaires notamment.
À ce stade, vous annoncez l’ouverture de discussions dans un format qui reste très nébuleux et sur lequel nous attendons des clarifications :
- D’abord, nous connaissons votre attachement à la laïcité, aussi nous vous suggérons qu'en lieu et place d'un conclave vous organisiez une conférence sociale sur les retraites. La question des retraites intéresse les dizaines de millions de travailleuses et de travailleurs du pays, et nos discussions doivent se faire sous leurs yeux pas dans le secret d'un conclave.
- Ensuite, le périmètre doit être modifié et celui que vous avez retenu aujourd’hui nous semble totalement baroque : il ne repose ni sur la représentativité interprofessionnelle, ni sur celle de la fonction publique…Les retraites sont un enjeu d'intérêt général, nous souhaitons donc que les 8 organisations syndicales soient invitées autour de la table, quitte à avoir ensuite des cadres spécifiques au privé et au public.
- Le cadrage budgétaire doit être clarifié. La CGT demande depuis des années l’organisation d’une conférence de financement de nos retraites. Nous serons ravis de pouvoir enfin débattre sur la base des très nombreuses propositions que nous portons pour financer les 16 milliards nécessaires à horizon 2030 pour abroger la réforme. Cependant, nous ne laisserons pas dire que nos retraites seraient responsables de la moitié du déficit du pays. Il n’y a pas de « déficit caché » des régimes de retraites. C’est à l’Etat employeur de payer les retraites des fonctionnaires, certainement pas aux salariés du privé. Nous avons bloqué la tentative de vos prédécesseurs de faire les poches du régime Agirc Arrco, nous n’accepterons pas de nous engager dans des discussions où la facture à régler serait alourdie de 40 milliards d'euros par un tour de passe-passe comptable.
- La réforme n'ayant pas été bloquée, le calendrier des discussions doit être très court, nous ne pourrons donc pas tout traiter. La question majeure à ce stade c'est le financement du retour aux 62 ans, c'est donc par cela qu'il faut commencer, avant de traiter le sujet de la pénibilité pour réintégrer les 10 critères et construire une méthode collective de reconnaissance de la pénibilité.
- Enfin, du fait des multiples passages en force qui ont permis son adoption, la réforme des retraites pâtit d’un profond vice démocratique. Il faut donc que quel que soit l’issue des discussions qui s’ouvriront, in fine, le parlement ou le peuple par voie référendaire aient le dernier mot.
Responsabilité parce que des millions de salarié·es nous regardent et attendent l'abrogation de cette réforme, nous ne pouvons les décevoir.
Responsabilité parce que notre régime de sécurité sociale a été créé par Ambroise Croizat en application du programme du conseil national de la résistance pour faire de la retraite non plus l'antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie.
Pour cela, les résistants ont bâti, dans un pays ruiné, un système par répartition. Ce système visionnaire nous a permis d'affronter toutes les crises pendant qu'ailleurs les régimes par capitalisation s'effondraient. Alors que, 80 ans plus tard, le magot de nos retraites aiguise toujours les appétits, nos travaux ne peuvent avoir pour seul but que de pérenniser notre système par répartition et de le mettre à l'abri des fonds prédateurs.
Vendredi 17 janvier 2025