★ Illectronisme - Fracture numérique


Alors que la dématérialisation progresse à grands pas, les usagers d’âge avancé, moins diplômés et non francophone restent sur le bord du chemin.



39% des Français ont déjà renoncé à un démarche administrative car ils ne pouvaient utiliser internet.

Une étude du CSA réalisée pour le Syndicat de la presse sociale braque les projecteurs sur l’«illectronisme», transposition du concept d’illettrisme dans le domaine de l’information électronique. Selon ce sondage effectué sur 1011 individus dont 368 de plus de 70 ans, les personnes âgées sont les plus concernées : plus d’un tiers ne dispose même pas de connexion internet.

« Auparavant, on évaluait la fracture numérique à l’aune de l’équipement des foyers. On s’est rendu compte qu’on ne pouvait rien mesurer de fiable sans se pencher sur les usages. Aller voir les photos de ses petits-enfants sur Google Drive ne sollicite pas les mêmes compétences cognitives que remplir son dossier de retraite en ligne sur le site de la Carsat » affine Pierre Mazet, chercheur spécialiste du non-recours au droit.

Les inégalités vis-à-vis de ces compétences sont renforcées par trois variables principales : l’âge, le niveau des diplômes ; et la maîtrise de la langue française. « Internet évolue très vite. Il est donc essentiel d’apprendre, sous peine d’être rapidement dépassé. C’est souvent ce qu’il se passe avec les personnes âgées, formées à des logiciels rapidement obsolètes. Plus on est éduqué, moins on a de mal à absorber ces rapides évolutions », synthétise le chercheur.

Les classes populaires sont très affectées par ce nouveau handicap. Or pour ceux dont les revenus dépendent de la solidarité, le passage par la case administration est incontournable. « Exceptés les impôts, les administrations n’ont pas anticipés les effets de la dématérialisation », constate pierre Mazet.

En Seine-St-Denis, département qui cumule une population immigrée récente, donc non francophone, et un taux de pauvreté record, la dématérialisation s’est révélée catastrophique.

« A la Sécurité sociale, pour réduire le nombre de postes, c’est à l’usager de faire le travail qui nous échoyait. Si vous ne savez pas parler français ou que vous ne savez pas vous servir des bornes, il n’y a plus d’humains pour vous aider. La dématérialisation a fluidifié le traitement des dossiers simples mais a allongé ceux compliqués. Qui sont, souvent, l’apanage des plus fragiles », témoigne Carlos Leal secrétaire de la CGT-CPAM du 93.

La sonnette d’alarme a fini par être tirée lorsque la préfecture a dématérialisé ses services de régularisation des étrangers, « prendre un rendez-vous était impossible, le robot mis en place indiquait que 99 % des demandes recevaient des réponses négatives, nous avons fait condamner le préfet par le tribunal administratif », explique Yohann Delhomm, de la Cimade. Elle fait partie des associations, syndicats et élus qui ont signé en mars dernier une pétition pour obtenir des moyens d’accueil et un traitement des dossiers qui respectent la dignité des étrangers et l’égalité des droits. 

Elsa Dupré pour ensemble ! le journal des adhérents à la CGT

Repères

Selon l’étude du CSA publiée par le Syndicat de la presse sociale, 89 % des français possèdent au moins l’un des outils numériques permettant de se rendre sur internet. Pour 77 % d’entre eux, il est simple d’utiliser internet, mais pour 6 millions d’autres, il est difficile de naviguer. Parmi les « abandonnistes », 50 % ont ressenti une sensation de décalage avec leur entourage dans l’emploi de certaines technologies, au point de se sentir seuls.

La situation au Centre d'Action Sociale de la Ville de Paris

La SDIS (sous direction des interventions sociales) déclare rechercher tous les moyens pour réduire le nombre d’«abandonnistes» mais installe une informatisation débridée.

Des études coûteuses lancées en 2015 n’ont produit aucun effet ni aucun résultat probant avec comme conclusion que «la lutte passe par la prévention et donc par une facilitation de l'accès aux droits pour les personnes en grande difficulté ayant du mal à s'appuyer sur les dispositifs existants». Bravo !!! Ça a couté combien ?

Les solutions apportées totalement inefficaces se font toujours au détriment des conditions de travail des agents : «Le suivi des délais de traitement s’inscrit dans le pilotage des chefs de services et contribue à garantir une qualité de service pour les usagers.» Des délais de traitement mis en place en 2007 dans le cadre d’une démarche qualité qui nous harcèle chaque jour un peu plus et qui nous enferme dans une logique d’urgence qui ne nous permet plus de réfléchir sereinement et d’engager une prise de décision portée par du sens.

Quant au non-recours à l’accès aux prestations à qui de droit, la SDIS évite d’en attribuer les causes à la fusion des services qui ont dégradé la relation à l’usager et à la désectorisation du service social polyvalent qui est aujourd’hui un échec face aux objectifs qu’elle devait atteindre.