La pénurie d’aides-soignantes, chronique depuis 2018, a atteint la cote d’alerte dans les maisons de retraite. Au sortir de la crise sanitaire, qui a dégradé l’état de santé des résidents, le manque de personnel est plus difficile à supporter pour les équipes. Pour ne plus prendre le risque de confier de but en blanc leurs pensionnaires à des recrues sans expérience, des directeurs d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont mis sur pied des formations initiales. Ils plaident pour la reconnaissance de ce processus de qualification. Mais l’Etat temporise.
« Avec un tiers de postes d’aides-soignants vacants dans les Ehpad du nord du département, on est arrivés à un point de non-retour », alerte Pierre Gouabault. Directeur de quatre maisons de retraite en Loir-et-Cher, il a lancé en 2020, avec une dizaine d’autres établissements publics du département, une formation de dix semaines ouverte à des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). A l’issue, un contrat de six mois est proposé aux stagiaires formés dans les Ehpad associés au projet.
Cet été, François Vérot, directeur de l’Ehpad Les Cèdres à Beaux (Haute-Loire), est contraint de tourner avec une dizaine de salariés non diplômés pour combler ses postes d’aides-soignantes vacants. Cette année, il a ouvert une formation d’un mois proposée à une quinzaine de salariés sans diplômes embauchés pendant la crise sanitaire dans des Ehpad des environs et prévoit une session avec quinze autres stagiaires. Leur enseigner les compétences techniques et comportementales de base attendues dans le secteur est le meilleur moyen de leur donner envie de continuer dans le métier.
2 500 recrutements
« Il est arrivé qu’un demandeur d’emploi à peine arrivé reparte en courant en voyant la charge émotionnelle que suppose ce métier », raconte Didier Carles, directeur de l’Ehpad Saint-Jacques à Grenade (Haute-Garonne), qui a conçu une formation de vingt-deux jours pour fidéliser ses recrues. Sophie Bideau, directrice générale de Mieux Vivre, un groupe d’Ehpad privés, a concocté une formation courte dont ont bénéficié, en 2021, treize profils sélectionnés avec l’aide de Pôle emploi. Tous sont désormais en poste dans des Ehpad de Gironde.
Ces formations de base initiales sont une originalité dans ce milieu professionnel. « En dehors du diplôme d’aide-soignante, il n’y a guère d’offre de qualification intermédiaire, résume un expert du sujet. Mais c’est en train de bouger. »
Voyant ces initiatives fleurir, le gouvernement les encourage. En avril, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a diffusé une circulaire qui explique aux directeurs comment obtenir un financement de Pôle emploi. « Nous pouvons effectivement financer des formations pour des demandeurs d’emploi à condition qu’ils aient au préalable une promesse d’embauche en Ehpad », explique Hervé Jouanneau, responsable du département conseil en formation à la direction de Pôle emploi. La circulaire fixe l’objectif de 2 500 recrutements d’ici à la fin 2021, par le biais de ces dispositifs estampillés Pôle emploi. Aucun bilan n’existe à ce jour.
Pôle emploi a mis aussi en œuvre, en septembre 2020, une solution « expérimentale » avec l’OPCO Santé, l’organisme qui collecte les fonds de la formation professionnelle des Ehpad privés. Les deux institutions ont cofinancé « pour une petite centaine de demandeurs d’emploi des formations courtes au niveau d’agent de soins hospitalier », détaille Jean-Pierre Delfino, directeur général de l’OPCO Santé.
Mais ces formations se déploient au compte-gouttes. Les directeurs attendent de l’Etat une impulsion plus nette. « On irait plus vite dans la mise en œuvre des formations si le gouvernement créait un dispositif national qui donne de la visibilité aux financeurs, d’autant qu’ils sont multiples », considère Didier Sapy, président de la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées. Outre Pôle emploi et l’OPCO, les agences régionales de santé (ARS) et les régions accordent aussi volontiers des moyens à ces formations, mais en ordre dispersé.
« Nous avons besoin d’une formation-socle qui soit reconnue pour les métiers sur le grand âge », affirme Pierre Gouabault, directeur en Loir-et-Cher. Le gouvernement traîne les pieds, regrette-t-il, pour ne pas remettre en cause le monopole légal des aides-soignantes sur les actes de soins. « Mais, à force de ne pas vouloir se heurter au corporatisme, on oublie de former ceux qui interviennent auprès des plus fragiles. » Il n’est « pas normal qu’il n’y ait pas de formation initiale officielle pour les agents de soins hospitaliers », renchérit Didier Carles. Le directeur haut-garonnais plaide pour un financement public plus important des organismes de formation. « Le mieux est que ces formations puissent continuer à être calibrées au niveau territorial », nuance Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale. Elle vante le rôle « modeste » de l’Etat, qui est de « mettre en valeur les bonnes pratiques du terrain calibrées aux besoins » plutôt qu’imposer « un cadre rigide national ».
Développer l’apprentissage
A l’instar des syndicats, le gouvernement ne veut pas que ces formations soient une aubaine pour embaucher davantage de salariés moins bien payés sur des postes d’aides-soignantes. « Attention à ne pas déprofessionnaliser [le travail en Ehpad] ! », met en garde l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui soutient une formation de six semaines dans une petite trentaine d’Ehpad de la région mais aussi des parcours pour devenir aides-soignantes.
« Ces formations sont une bonne solution à condition qu’elles ne soient bien qu’une étape et non une fin en soi », avertit, de son côté, Michel Laforcade. L’ancien directeur de l’ARS Nouvelle-Aquitaine doit rendre au gouvernement, en septembre, ses préconisations pour améliorer l’attractivité des métiers du grand âge. Il est évident que les formations courtes sont « un premier pas qui doit donner envie d’aller vers le niveau d’aide-soignant », dit FrançoisVérot, directeur en Haute-Loire. Il ne faudrait pas pour cela que les « jeunes recrues démissionnent pour décrocher le diplôme en école ».
Or la voie de l’apprentissage pour devenir aide-soignante est très peu empruntée en Ehpad. Des avancées sont en cours. Un décret imminent va autoriser l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) à accorder des crédits aux Ehpad publics pour recruter des apprenties aides-soignantes. « Nous allons pouvoir mener une politique au niveau national et éviter aux Ehpad d’être tributaires des efforts de chaque région en matière d’apprentissage », se félicite Pierre de Montalembert, directeur général adjoint de l’ANFH. Le secteur privé s’active aussi pour développer l’apprentissage.
Le gestionnaire d’Ehpad Korian a signé, en 2021, un accord avec Monoprix et le groupe Derichebourg qui permet à des hôtes de caisse et agents de service de ces deux entreprises de se reconvertir en aides-soignants. L’apprentissage se couple d’une promesse de CDI à l’issue de la formation. « Nous voulons recruter plus de 200 aides-soignantes par an grâce à ce dispositif », prévoit Sophie Boissard, la patronne de Korian, soit près de 10 % des recrutements annuels.
Remis à l’automne 2019, le rapport de Myriam El Khomri sur l’attractivité des métiers du grand âge indique qu’il faudrait doubler le nombre de formations d’aides-soignantes pour atteindre 50 000 nouvelles diplômées par an. Ce qui permettrait de faire face à l’augmentation des personnes âgées en perte d’autonomie, de combler les postes vacants et d’améliorer le taux d’encadrement dans les Ehpad. C’est l’autre verrou à faire sauter, selon les directeurs : « On n’améliorera pas l’image de nos métiers et donc on ne sortira pas du marasme des recrutements sans augmenter le ratio de soignants par résident, accordé par les ARS », martèle Didier Carles.
« Avec un tiers de postes d’aides-soignants vacants dans les Ehpad du nord du département, on est arrivés à un point de non-retour », alerte Pierre Gouabault. Directeur de quatre maisons de retraite en Loir-et-Cher, il a lancé en 2020, avec une dizaine d’autres établissements publics du département, une formation de dix semaines ouverte à des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). A l’issue, un contrat de six mois est proposé aux stagiaires formés dans les Ehpad associés au projet.
Cet été, François Vérot, directeur de l’Ehpad Les Cèdres à Beaux (Haute-Loire), est contraint de tourner avec une dizaine de salariés non diplômés pour combler ses postes d’aides-soignantes vacants. Cette année, il a ouvert une formation d’un mois proposée à une quinzaine de salariés sans diplômes embauchés pendant la crise sanitaire dans des Ehpad des environs et prévoit une session avec quinze autres stagiaires. Leur enseigner les compétences techniques et comportementales de base attendues dans le secteur est le meilleur moyen de leur donner envie de continuer dans le métier.
2 500 recrutements
« Il est arrivé qu’un demandeur d’emploi à peine arrivé reparte en courant en voyant la charge émotionnelle que suppose ce métier », raconte Didier Carles, directeur de l’Ehpad Saint-Jacques à Grenade (Haute-Garonne), qui a conçu une formation de vingt-deux jours pour fidéliser ses recrues. Sophie Bideau, directrice générale de Mieux Vivre, un groupe d’Ehpad privés, a concocté une formation courte dont ont bénéficié, en 2021, treize profils sélectionnés avec l’aide de Pôle emploi. Tous sont désormais en poste dans des Ehpad de Gironde.
Ces formations de base initiales sont une originalité dans ce milieu professionnel. « En dehors du diplôme d’aide-soignante, il n’y a guère d’offre de qualification intermédiaire, résume un expert du sujet. Mais c’est en train de bouger. »
Voyant ces initiatives fleurir, le gouvernement les encourage. En avril, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a diffusé une circulaire qui explique aux directeurs comment obtenir un financement de Pôle emploi. « Nous pouvons effectivement financer des formations pour des demandeurs d’emploi à condition qu’ils aient au préalable une promesse d’embauche en Ehpad », explique Hervé Jouanneau, responsable du département conseil en formation à la direction de Pôle emploi. La circulaire fixe l’objectif de 2 500 recrutements d’ici à la fin 2021, par le biais de ces dispositifs estampillés Pôle emploi. Aucun bilan n’existe à ce jour.
Pôle emploi a mis aussi en œuvre, en septembre 2020, une solution « expérimentale » avec l’OPCO Santé, l’organisme qui collecte les fonds de la formation professionnelle des Ehpad privés. Les deux institutions ont cofinancé « pour une petite centaine de demandeurs d’emploi des formations courtes au niveau d’agent de soins hospitalier », détaille Jean-Pierre Delfino, directeur général de l’OPCO Santé.
Mais ces formations se déploient au compte-gouttes. Les directeurs attendent de l’Etat une impulsion plus nette. « On irait plus vite dans la mise en œuvre des formations si le gouvernement créait un dispositif national qui donne de la visibilité aux financeurs, d’autant qu’ils sont multiples », considère Didier Sapy, président de la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées. Outre Pôle emploi et l’OPCO, les agences régionales de santé (ARS) et les régions accordent aussi volontiers des moyens à ces formations, mais en ordre dispersé.
« Nous avons besoin d’une formation-socle qui soit reconnue pour les métiers sur le grand âge », affirme Pierre Gouabault, directeur en Loir-et-Cher. Le gouvernement traîne les pieds, regrette-t-il, pour ne pas remettre en cause le monopole légal des aides-soignantes sur les actes de soins. « Mais, à force de ne pas vouloir se heurter au corporatisme, on oublie de former ceux qui interviennent auprès des plus fragiles. » Il n’est « pas normal qu’il n’y ait pas de formation initiale officielle pour les agents de soins hospitaliers », renchérit Didier Carles. Le directeur haut-garonnais plaide pour un financement public plus important des organismes de formation. « Le mieux est que ces formations puissent continuer à être calibrées au niveau territorial », nuance Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale. Elle vante le rôle « modeste » de l’Etat, qui est de « mettre en valeur les bonnes pratiques du terrain calibrées aux besoins » plutôt qu’imposer « un cadre rigide national ».
Développer l’apprentissage
A l’instar des syndicats, le gouvernement ne veut pas que ces formations soient une aubaine pour embaucher davantage de salariés moins bien payés sur des postes d’aides-soignantes. « Attention à ne pas déprofessionnaliser [le travail en Ehpad] ! », met en garde l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui soutient une formation de six semaines dans une petite trentaine d’Ehpad de la région mais aussi des parcours pour devenir aides-soignantes.
« Ces formations sont une bonne solution à condition qu’elles ne soient bien qu’une étape et non une fin en soi », avertit, de son côté, Michel Laforcade. L’ancien directeur de l’ARS Nouvelle-Aquitaine doit rendre au gouvernement, en septembre, ses préconisations pour améliorer l’attractivité des métiers du grand âge. Il est évident que les formations courtes sont « un premier pas qui doit donner envie d’aller vers le niveau d’aide-soignant », dit FrançoisVérot, directeur en Haute-Loire. Il ne faudrait pas pour cela que les « jeunes recrues démissionnent pour décrocher le diplôme en école ».
Or la voie de l’apprentissage pour devenir aide-soignante est très peu empruntée en Ehpad. Des avancées sont en cours. Un décret imminent va autoriser l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) à accorder des crédits aux Ehpad publics pour recruter des apprenties aides-soignantes. « Nous allons pouvoir mener une politique au niveau national et éviter aux Ehpad d’être tributaires des efforts de chaque région en matière d’apprentissage », se félicite Pierre de Montalembert, directeur général adjoint de l’ANFH. Le secteur privé s’active aussi pour développer l’apprentissage.
Le gestionnaire d’Ehpad Korian a signé, en 2021, un accord avec Monoprix et le groupe Derichebourg qui permet à des hôtes de caisse et agents de service de ces deux entreprises de se reconvertir en aides-soignants. L’apprentissage se couple d’une promesse de CDI à l’issue de la formation. « Nous voulons recruter plus de 200 aides-soignantes par an grâce à ce dispositif », prévoit Sophie Boissard, la patronne de Korian, soit près de 10 % des recrutements annuels.
Remis à l’automne 2019, le rapport de Myriam El Khomri sur l’attractivité des métiers du grand âge indique qu’il faudrait doubler le nombre de formations d’aides-soignantes pour atteindre 50 000 nouvelles diplômées par an. Ce qui permettrait de faire face à l’augmentation des personnes âgées en perte d’autonomie, de combler les postes vacants et d’améliorer le taux d’encadrement dans les Ehpad. C’est l’autre verrou à faire sauter, selon les directeurs : « On n’améliorera pas l’image de nos métiers et donc on ne sortira pas du marasme des recrutements sans augmenter le ratio de soignants par résident, accordé par les ARS », martèle Didier Carles.
par Béatrice Jérôme
"Le Monde" 27 août 2021