Bernard Thibault a également proposé au congrès des métallurgistes CGT de "tout faire ensemble pour que cette affaire qui semble destinée depuis le début à être enterrée, ne le soit pas". D'autant plus que l'opinion est largement convaincue que la direction du Medef était au courant de l'utilisation faite des retraits d'argent suspects effectués par d'anciens dirigeants de la fédération de la métallurgie.
En effet, selon un sondage CSA pour L'Humanité rendu public mardi, 64% des personnes interrogées estiment que la direction du Medef était "certainement ou probablement au courant", contre 20% qui jugent qu'elle n'était "certainement pas ou probablement pas au courant". Et les trois quarts des français qualifient l'affaire "grave", dont 41% de "très grave", alors que 11% la jugent "pas grave".
Plus de la moitié des personnes interrogées (59%) ne font confiance ni au gouvernement ni au Medef pour que "les relations sociales soient en France plus transparentes et démocratiques dans l'avenir".
En revanche, les Français sont plus nombreux (55%) à faire confiance aux organisations syndicales de salariés pour veiller à ce qu'il y ait plus de transparence dans les relations sociales, selon cette étude.
Extrait du discours de Bernard Thibault
devant le congrès de la fédération
CGT des travailleurs de la métallurgie, le mardi 18 mars 2008.
Je veux revenir devant vous sur cette affaire parce qu’elle est intolérable à plus d’un titre.
Voici quelques mois, les français découvrent que la principale branche patronale du Medef, l’UIMM entretient une « caisse noire » alimentée par des entreprises de la métallurgie depuis fort longtemps et que ces fonds ont, pour partie, circulés en liquide à la discrétion de quelques dirigeants de l’organisation.
Le principal d’entre eux Mr Denis Gauthier Sauvagnac, dit «DGS» dans le milieu (ce qui signifie peut-être : «Donateur Généreux en Secret»), ne trouve rien d’autre comme explication à donner aux policiers chargés d’enquêter sur la destination des fonds qu’une «contribution à fluidifier le dialogue social» c'est-à-dire, suivez mon regard, des fonds destinés aux syndicats.
Sans jamais apporter le début d’une preuve, le Président en exercice de l’UIMM laisse entendre que tous les syndicats français sont achetés.
Le premier effet se produit sans surprise, ce ne sont pas les entreprises a l’origine de cette caisse, dont le montant est évalué, excusez du peu, à plus de 600 millions d’euros qui sont sommées de s’expliquer mais les syndicats de salariés.
«Est-ce bien vrai ?», «qu’avez-vous touché a la CGT ?» «Ça ne nous étonne pas !», les questions fusent et les commentaires vont bon train comme on dit chez moi.
Dans le même temps, se multiplient dans les rangs patronaux les déclarations les plus étonnantes «on ne savait pas !», disent-ils, «ce sont des comportements individuels , «comment est-ce possible ?», «c’est le patronat d’un autre temps ! , «à l’avenir il aura plus de transparence !» … Nous sommes dans la capitale de la gastronomie, je voudrais dire qu’à la CGT on n’aime pas être pris pour des andouilles !
Le Premier ministre fait des promesses : le gouvernement va préparer un texte de loi qui imposera aux syndicats et aux patronat la certification des comptes de leurs organisations.
Vous apprécierez au passage le fait de nous mettre sur le même plan que les syndicats patronaux qui n’ont ni la même vocation, ni le même fonctionnement et surtout pas les mêmes moyens.
A ma connaissance Monsieur le Premier ministre, les comptes des entreprises sont certifiés et pourtant cela n’a pas empêché des prélèvements occultes pour des opérations inavouables.
Alors arrêtons l’hypocrisie ; s’il vous plaît !
L’«affaire» fait cependant grand bruit au point que DGS négocie les termes de sa démission au sein de l’UIMM, moyennant une indemnité de départ de 1,5 millions d’euros (c’est-à-dire l’équivalent de 1250 SMIC mensuel !) et la prise en charge par l’UIMM des sanctions financières ou indemnités que la justice pourrait prononcer à son égard. Tout cela sans doute au nom des bons et loyaux services.
Le plus important, c’est qu’en acceptant cette transaction, l’UIMM confirme ainsi que nous sommes devant un système de financement opaque assumé collectivement par le patronat et non face à des comportements individuels.
La polémique se prolonge pour la répartition des mandats patronaux dans les organismes paritaires, la Présidente du MEDEF annonce ouvrir un appel d’offre pour décider de la destination de l’argent qui reste sur les comptes.
Et puisque demain se réunit une convention de l’UIMM, à ce propos vous me permettrez d’exiger en votre nom que l’argent qui a été détourné du travail des métallurgistes revienne aux métallurgistes eux mêmes ! Ils doivent prendre cette décision !
Cher(e)s camarades, je le dis solennellement ici à votre Congrès, la CGT doit contribuer à faire la lumière et à briser l’omerta entretenue autour de cette affaire. Dans le même temps, nous devons être extrêmement vigilants pour que cette affaire ne soit pas utilisée pour disqualifier les institutions dans lesquelles siègent les représentants des salariés pour la défense de leurs intérêts.
La vérité, nous la devons aux salariés de la métallurgie en premier lieu, plus largement à l’ensemble des salariés et au pays.
Parce que, cet argent a d’abord servi à toutes les turpitudes du patronat.
Il a servi avant tout à combattre tous ceux et celles qui luttent, qui refusent l’arbitraire patronal, les bas salaires, les conditions de vie et de travail inhumaines, la précarité et les licenciements.
Il a servi à combattre la CGT et ses militants et militantes, à vous combattre vous, hier et encore d’aujourd’hui.
Tous ceux qui ont souffert et qui souffrent encore de ces pratiques patronales indignes ont droit à la vérité et à la justice ! Nous exigeons du patronat et du gouvernement des réponses à nos questions.
Qui sont les patrons et les entreprises qui ont financé cette ou ces caisses noires de plusieurs centaines de millions d’euros pendant des décennies ?
Quel est le montant réel des sommes qui ont été détournées au fil des ans ?
Pourquoi n’a-t-on pas de réponse lorsque nous posons la question dans les comités d’entreprises ?
Pourquoi aucune investigation commandée par le gouvernement ?
Comment se fait-il qu’il ait fallu si longtemps pour rendre publics des comportements connus depuis fort longtemps, y compris par les services de l’état ?
Si nous n’avons pas de réponses à nos questions, nous serons bien obligés d’en conclure que l’on souhaite s’en tenir à une « guerre des chefs » sans réels changements pour l’avenir.
Dans cette affaire, il y a des financeurs qui ont, d’une certaine manière, détourné de l’argent de leur entreprise pour financer des caisses noires et nous voulons les connaître !
Nous ne sommes pas magistrats mais cela ne relève-t-il pas de l’abus de bien social ?
Qu’on ne nous dise plus «personne ne savait».
Devant vous, je n’ai pas envie de prendre de gants : tout le monde sait que cet argent sale a servi à «matraquer» nos militants, à briser les grèves, à financer des syndicats-maisons toujours prêts aux coups de poing contre les militants progressistes, les syndicalistes, les salariés en lutte.
Face a ce qui était considéré comme «le péril rouge», par anti communisme et anti cégétisme, c’est une forme d’impôt contre révolutionnaire qui était prélevé.
La CSL, la CFT, ces organisations fascisantes, cela a existé, il y a ici des témoins et des victimes de leurs agissements.
Les organisations de barbouzes dans les entreprises financées par le patronat, cela a existé. Ce n’est pas un scoop. C’est presque écrit dans les manuels d’histoire des étudiants ! D’autres témoins pourront sans doute utilement éclairer sur « l’accompagnement » de certaines campagnes électorales et «l’accompagnement» du travail parlementaire.
Si le nouveau Président de l’UIMM, la Présidente du MEDEF, le Ministre du travail, voire le Président de la république, que l’on connaît en général plus réactif sur l’actualité, veulent en savoir plus, ainsi que les journalistes qui s’intéressent au sujet, je leur conseille la lecture d’un ouvrage parmi d’autres : le livre de Marcel CAILLE qui date de 1977 «les truands du patronat» le voici ! Preuves à l’appui, il décrit toutes les méthodes.
Oui, la mise en fiches, le «flicage» des militants, l’infiltration des syndicats, cela a existé. SIMCA, BERLIET, CITROEN …, autant de noms d’entreprises qui résonnent de ces pratiques.
Le patronat est tenté aujourd’hui de jeter un voile pudique sur ces méthodes, mais nous ne laisserons pas faire.
Et que l’on ne nous dise pas qu’il s’agit d’histoires anciennes ! Les principaux acteurs patronaux de ces scandales ont eux-mêmes confirmé que ces pratiques s’étaient encore développées dans l’après 68, il y a tout juste 40 ans. Les victimes sont toujours là, et certaines sont encore en activité ! Apres tout, c’est peut-être ce qu’il faut comprendre lorsqu’on entend qu’il faudrait «liquider 68».
Enfin, est-on bien sûr que tout cela relève du passé, fût-il récent ? La répression syndicale, le licenciement des délégués syndicaux, les entraves à l’exercice du droit de grève, cela existe toujours et pas uniquement dans la métallurgie.
Je vous le dis : cela ne peut plus durer.
Cher(e)s Camarades, votre congrès peut prendre une décision : celle de tout faire ensemble pour que cette affaire qui semble destinée depuis le début à être enterrée, ne le soit pas ! Il serait tout de même insensé qu’un scandale patronal sans précédent ne se traduise par aucune poursuite et aucun changement fondamental dans la représentation et les pratiques patronales.
Pourtant ce risque existe.
Depuis plus de 10 ans, la CGT revendique un changement des règles applicables à la représentativité syndicale, à la négociation collective, aux droits et moyens syndicaux.
Et bien vous aurez de la peine à le croire mais dans la négociation ouverte en ce moment, les organisations d’employeurs considèrent qu’il n’y a rien à discuter concernant le camp patronal. Ils refusent jusqu'à présent toute mises a plat de leur propre situation, qu’il s’agisse de la représentativité des organisations patronales ou de leur financement.
Dans ces conditions, les déclarations d’indignation à propos du passé ont leurs limites.
Beaucoup ont sans doute à l’esprit la célèbre formule «tout changer pour ne rien changer». Ce n’est pas notre choix et nos propositions sont simples, elles s’inspirent des principes de la démocratie.
Il faut sortir de ces règles hypocrites qui reconnaissent depuis 1966 5 confédérations syndicales de salariés avec un poids identique, sans jamais demander aux salariés ce qu’ils en pensent, qui permettent la signature d’accords minoritaires dans les entreprises, les branches professionnelles, au plan national. Un dispositif qui entretient la discrimination entre les entreprises à qui l’ont reconnaît le droit de prélever des cotisations pour financer l’activité patronale et qui laisse aux seuls syndiqués la charge de financer les missions envers l’ensemble des salariés.
En résumé, nos propositions sont simples :
- Il faut que tout salarié, quelle que soit l’entreprise dans laquelle il travaille, puisse régulièrement s’exprimer par des élections professionnelles,
- Il faut tenir compte de l’expression des salariés dans les élections avec deux conséquences immédiates :
1. seuls les syndicats ayant une certaine audience parmi les salariés ont le droit de s’exprimer en leur nom à la table des négociations.
2. seuls les accords conclus par des syndicats représentant une majorité des salariés concernés doivent être appliqués.
Vous étés bien placés dans la métallurgie pour évaluer combien des règles réellement démocratiques changeraient la donne.
3. les droits et moyens syndicaux doivent être reconnus et étendus ; leurs répartition doit être transparente et tenir compte de la représentativité de chaque syndicat. Coté patronal, leur cotisation et autres mises à disposition de moyens matériel et humain doivent figurer dans le bilan social.
Est-ce un pur hasard ? Nous sommes bien obligés de constater dans la négociation en cours que l’UIMM et trois syndicats se rejoignent pour freiner toutes évolutions en profondeur.
Si la négociation échoue d’ici la fin de ce mois, il reviendra au parlement de décider. Nous verrons alors quel choix politique inspirera le gouvernement : le simple aménagement pour entretenir une forme de statu quo ou la volonté de donner aux salariés les moyens d’expression démocratique qu’ils sont en droit d’attendre.
Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour faire pression sur le gouvernement pour qu’il décide de cette réforme comme il s’y est engagé.