13 ans après son précédent passage, Patti Smith 78 ans est de retour à la fête de l'Huma. Elle a donné un entretien au journal l'Humanité paru le 12 septembre 2025.
Extraits
Ne vous abandonnez pas les uns, les autres en ces temps difficiles. Ne vous asseyez pas devant votre écran, ne vous enfermez pas, retrouvez-vous, encouragez-vous, éduquez nos enfants du mieux que vous le pouvez.
Souvent, des gens me disent que la responsabilité des artistes est plus grande et me demandent pourquoi ils ne s’engagent pas davantage. Je ne suis pas d’accord avec ça. Je pense que nous avons tous une responsabilité, que ce soit en votant ou en nous aidant les uns les autres. Un artiste a une voix, parfois influente. Je n’ai aucun problème avec ça. Elle peut inspirer, stimuler ou pousser l’examen ce qui est en train de se passer. Par exemple Neil Young chantant "Ohio" après que les étudiants de Kent ont été abattus fut un moment très important dans la lutte contre la guerre du Vietnam. Mais s’il est important que nous puissions utiliser notre voix, c’est aux gens de faire changer les choses. Il faut voter, marcher, agir. Ghandi avait des idées révolutionnaires, mais si les gens n’avaient pas réagi par millions, le changement n’aurait pas eu lieu.
La censure a-t-elle des conséquences concrètes aux États-Unis contre les voix progressistes ?
J’ai souvent été confrontée à la censure, et elle s’exercera toujours. Mais aujourd’hui, elle ne ressemble à rien de ce que j’ai pu voir. Ils interdisent des classiques, que ce soit "Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur" (roman de Harper Lee, 1960), "Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage" (roman de Maya Angelou, 1960), même Huckleberry Finn ou Shakespeare ! Ils retirent des livres des bibliothèques parce qu’ils pensent qu’ils ne correspondent pas à la vision morale qu’ils ont de la façon dont nous devrions être éduqués, ou nous auto-éduquer.
Vous évoquiez la censure qui s’exerce contre le mouvement de solidarité avec la Palestine. Quelle forme prend-il ?
Ils ont fait en sorte que presque tout ce que l’on puisse dire en défense des droits du peuple palestinien soit désormais considéré comme antisémite. Ce n’est pas le cas. Des gens sont antisémites, comme d’autres sont racistes. C’est un fait et je le sais évidemment. Mais je sais aussi que le simple fait de parler avec son cœur d’une situation terrible ne revient pas à s’opposer à une quelconque « race ».
C’est un cri. C’est un appel à l’aide pour ces gens, et à arrêter ce qui est désormais considéré comme un génocide. Ça n’a rien d’une idée antisémite. Il s’agit simplement d’être humaniste. La prise d’otages est déplorable. J’ai prié pour eux et nous leur dédions des chansons. Mais l’idée de détruire toute une culture et une histoire n’est même plus de l’ordre de la vengeance. Ce n’est pas une manière de se défendre. Ce n’est même pas la guerre. C’est une tentative d’éliminer un peuple.
Horses a contribué à changer la façon dont les femmes sont perçues dans la culture rock. À cette époque, vous sentiez-vous investie du devoir de les représenter ?
Non. J’aimais nos rock stars. Je ne me suis jamais dit : « oh, Jimi Hendrix, c’est un gars ». Pareil pour Elvis Presley, Jim Morrison ou Bob Dylan. La chose que j’ai soudainement remarquée, c’est que nous avions beaucoup de grandes chanteuses de R & B, dans des groupes de filles fantastiques, les Shirelles, les Chantels ou les Ronettes. Mais quelque chose s’est passé avec Grace Slick (chanteuse du Jefferson Airplane, NDLR).
J’aimais Joan Baez, une grande voix qui, par certains aspects, m’a fait sentir que je n’étais pas seule, mais elle restait dans la musique folk. Mais Grace Slick chantant Somebody to Love et White Rabbit, je n’avais jamais entendu ça. Pour moi, à ce moment-là, tous les grands chanteurs, mis à part l’opéra, étaient des chanteurs noirs. Ils avaient la voix, c’est sur leur musique que nous avons dansé, et ce sont eux qui nous ont émus. Et puis Grace Slick… Je ne savais rien du Jefferson Airplane ou même d’où en était la musique à l’époque.
Mais c’est devenu populaire à la radio et ça a changé ma vie. C’était une femme avec non seulement sa voix et son énergie, mais aussi des paroles différentes. Je ne me suis pas pour autant dit que je voulais faire ça, mais j’ai senti, peut-être même inconsciemment, qu’une femme émergeait.
Où trouvez-vous des raisons d’espérer aujourd’hui ?
« Hooray, I awake from yesterday » («Hourra, je me réveille d’hier »). C’est l’une de mes répliques préférées dans tout le rock and roll, elle est de Jimi Hendrix. C’est souvent ce que je me dis quand je me réveille, surtout si j’ai mal à la tête, que j’ai l’impression d’avoir mal dormi ou que j’ai une journée difficile devant moi. Cette pensée est si belle. Je suis vivante et là où il y a de la vie et du souffle, de l’espoir. En ce qui concerne notre monde, je place mon espoir dans la jeunesse.
Je fais ma part de travail et je ferai de mon mieux, mais je fais confiance aux jeunes. Il y a de l’espoir quand je vois le travail de ma fille. Mon fils me donne de l’espoir. Greta Thunberg me donne de l’espoir. Tout acte de gentillesse et de gratitude me donne de l’espoir. Donc, oui, il y a beaucoup de raisons de désespérer, et croyez-moi, je me sens un peu désespérée chaque jour. Mais cette colère, ces sentiments de trahison ou de désespoir ne peuvent pas éclipser ma joie d’être en vie.
👉 Retrouver l'entretien intégral donné au journal l'Humanité en suivant ce lien...
« Nous faisons de la musique pour unir, pas pour diviser », a lancé Patti Smith, samedi 13/09/205 à la Fête de l'Humanité
"People Have the Power" de sa voix profonde et rocailleuse, a frappé de son actualité.
Oui, les gens et le peuple ont le pouvoir : de lutter, d’ouvrir la voie, d’aller contre l’horreur et de parcourir, ensemble, le long chemin vers une société plus juste. C’est ce qui s’est montré et exercé dans tous les coins et recoins de la Fête de l’Humanité, comme tous les ans, mais différemment parce que le monde change.
"Free Money" - Patti Smith (Live At Montreux 2005)