Emmanuel Macron a souhaité recevoir en tête à tête les 3 nouveaux dirigeants des organisations syndicales et patronales (Sophie Binet CGT, Marylise Léon CFDT, Patrick Martin Medef).
Il s’agit d’un rituel traditionnel avec les numéros 1 des organisations syndicales et patronales. Ce rendez-vous était sans ordre du jour. Le Président de la République a introduit le rendez-vous extrêmement brièvement. Celui-ci s’est organisé à partir de l’ordre du jour de la CGT et de l’intervention liminaire de Sophie Binet, retranscrite pour l’essentiel ci-après :
« Monsieur le Président, je veux vous parler avec gravité car la situation du pays nous semble très inquiétante.
- Votre passage en force sur la réforme des retraites laisse une grande colère. Le mouvement était très profond, avec un niveau de mobilisation inédit dans les petites villes notamment. L’unité syndicale est solide et le restera. La situation est éruptive, à l’image de ce qui s’est passé dans les banlieues qui ont été matées par une répression inédite. Il reste 4 ans et s’il n’y a pas de changement de politique, cela va s'amplifier. La crédibilité de la France à l’étranger est liée au fait d’être le pays des droits humains et des droits sociaux. Elle est donc aussi liée à l'aura du mouvement social et de la CGT et elle est très abimée par ce passage en force comme par les remises en cause des libertés pointées notamment par l’ONU. Les difficultés rencontrées par la France face aux nouveaux impérialismes sont aussi liées au déficit de crédibilité de la France sur les libertés. Il y a besoin d'être exemplaire. La rupture avec le monde du travail est totale, pour en sortir, il faut montrer que votre gouvernement n’est pas seulement au service des puissants et du patronat.
- Vous êtes Président de la République, vous laisserez donc une trace dans l'histoire. Nous sommes très inquiets par la situation de l'extrême droite qui n’a jamais été aussi proche du pouvoir. La CGT existe depuis près de 130 ans, elle a le sens des responsabilités et de la République, face à l'extrême droite (2022, 2017, 2002), face aux factieux en 1962 ou en 1934 par exemple et nous sommes très clairs en interne. En refusant d'entendre les syndicats, vous accréditez l'idée que la seule alternative c'est l'extrême droite. Les digues sautent une à une et la reprise en main du JDD marque un nouveau cap. Être le Président qui aura permis à l’extrême droite d’atteindre ses records, voire d’accéder au pouvoir ne sera pas un héritage facile à porter pour vous.
- Les périls environnementaux : plus on tarde à prendre des mesures pour contrer le réchauffement climatique, plus on tarde à remettre en cause l’inégale répartition des richesses entre le capital et le travail, plus les conséquences du phénomène seront violentes socialement (réfugiés climatiques, suppressions d’emplois…). Pour répondre au défi environnemental, vous n’avez d’autre possibilité que de remettre en cause la répartition des richesses et donc d’affronter le patronat. Note aux organisations Montreuil, le 30 aout 2023
Nous avons 5 propositions :
1. L’organisation d’un référendum sur les retraites et d’une conférence de financement lors de laquelle nous pourrons enfin présenter nos solutions. Vous ne pouvez pas avoir raison, seul contre tous, c’est la seule façon d’apaiser la colère, de tourner la page du conflit social qui a duré tout au long du premier semestre.
2. Changer de cap en matière de démocratie sociale, il faut laisser réellement la place à la négociation à tous les niveaux, entreprises, branches, interprofessionnel. La lettre de cadrage de la négociation assurance chômage a donc été une douche froide. Elle ordonne une ponction des ressources du régime pour financer des dispositifs publics tout en corsetant la discussion avec des objectifs précis. C’est inacceptable ! De même sur la négociation Agirc Arrco, il est inacceptable que le gouvernement menace de se servir dans les caisses et de ponctionner plusieurs milliards ! Les excédents doivent servir à financer une amélioration du niveau de pension des retraités ! Sur ce point je tiens à vous alerter sur la répression syndicale. Il ne peut y avoir de double discours avec d’un côté l’affichage d’une volonté de « dialogue » et de l’autre la multiplication de procédures contre les militants et militantes de la CGT. Une ligne rouge a été franchie, avec la convocation d’un membre du bureau confédéral de la CGT – Sébastien Menesplier – qui sera auditionné le 6 septembre par la gendarmerie, suite à un dépôt de plainte après une action militante contre la réforme des retraites. Ça ne s’était pas vu depuis les années 1950. Il s’agit d’une stratégie d’intimidation sachant que 400 militantes et militants de la fédération de l’énergie sont aujourd’hui poursuivi.e.s devant les tribunaux pour les mêmes motifs. Si cela débouche sur des procès et des condamnations, cela pèsera très lourd sur la relation avec la CGT à tous les niveaux et il ne faudra pas se plaindre de ne pas avoir d’interlocuteur dans les entreprises. Enfin, il faut revoir les ordonnances travail de septembre 2017, qui ont réduit les moyens des élus du personnel dans les entreprises. Le bilan du comité de suivi des ordonnances est clair, il faut maintenant en tirer les leçons et rétablir les CHSCT, augmenter le nombre et les moyens des représentants du personnel…Ce sera aussi un outil pour répondre au défi environnemental et aux nouveaux défis (fragilisation du collectif de travail avec le développement du télétravail…) en nous donnant de nouvelles prérogatives et en renforçant la place des salariés dans les conseils d’administration. Enfin, votre Ministre du travail vient de lancer une campagne de communication sur les accidents du travail. Ce ne sont pas des vidéos sur les réseaux sociaux qui feront reculer les 2500 accidents qui ont lieu chaque jour sur un lieu de travail. Il faut des moyens pour les représentants du personnel !
3. Les salaires et l’égalité Femme Homme. Il y a un décrochage/inflation et un tassement très inquiétant des grilles. Nous préconisons l’indexation sur les prix et nous avons des propositions concrètes en matière d’égalité notamment pour revoir l’index sur l’égalité salariale.
4. L’industrie et l’environnement. On ne peut pas se satisfaire du statu quo avec un tissu industriel qui reste extrêmement fragile. Nous faisons notre rentrée sociale sur 4 dossiers, qui symbolisent largement la situation de l’industrie française, sur lesquels nous voulons des avancées concrètes car l’État a les moyens d’agir : Clestra (il faut taper du poing sur la table face à la famille Jacot en s’appuyant sur les aides publiques), Valdunes (il faut garantir un repreneur solide qui ne soit pas un concurrent car cela ouvrirait à des restructurations, et mettre par exemple Alstom dans la boucle), le Fret ferroviaire (il faut monter le rapport de force face à Bruxelles et refuser le démantèlement du fret, la CGT a des propositions très précises), la filière automobile (50 000 suppressions d’emplois d’ici 5 ans, il faut se faire respecter face aux grands groupes et imposer la production en France en s’appuyant sur les plus de 5 Mds d’aides publiques). Par ailleurs et plus largement, il faut aussi se doter d’une vraie politique industrielle avec notamment la conditionnalité des 200 Mds d’aides publiques (ce qui commence par la mise en place d’un avis conforme du CSE sur les aides publiques) et la refonte des comités stratégiques de filières qui sont aujourd’hui à la main des donneurs d’ordre à l’image de celui sur le médicament qui est piloté par Sanofi.
5. Les services publics, et notamment la situation de l’hôpital et de l’école. Sur l’hôpital, on est au bord – on y est même déjà dans certains territoires – de la rupture, nous proposons la mise en place d’un plan d’urgence pour l’hôpital. Sur l’école, il faut arrêter d’instrumentaliser la question de l’abaya. C’est grave car cela stigmatise et alimente le racisme. C’est dangereux car cela hystérise le débat et empêche les professionnels de faire leur travail dans un climat apaisé. La laïcité doit s’appliquer avec des règles claires, mais cela ne nécessite ni un décret, ni même peut être une circulaire, et encore moins une annonce tonitruante au 20h. Il faut en revanche avancer sur les vrais sujets, à commencer par l’attractivité du métier d’enseignant. Pour cela nous proposons une revalorisation salariale conséquente (et ce n’est pas le Pacte qui y répondra) ainsi que la mise en place d’un dispositif de pré-recrutement.
Le Président de la République s’est dit préoccupé par la montée de l’extrême droite tout en souhaitant approfondir le débat sur les causes. Il a ensuite tenu à répondre point par point. Pour l’essentiel, et sans surprise, pour réaffirmer sa politique pro-business au service de la «compétitivité coû », réaffirmer la nécessité de la réforme des retraites et de celle sur l’assurance chômage.
- Sur l’Agirc Arrco, il s’est engagé à ce que le gouvernement ne ponctionne pas dans les caisses du régime ;
- Sur la répression, il a affirmé l’importance des libertés syndicales mais a défendu les procédures tout en reconnaissant que ce n’était pas une bonne idée de convoquer les dirigeants ;
- Sur les ordonnances, il a indiqué qu’il ne souhaitait pas revenir en arrière mais qu’il fallait regarder sur les nouveaux sujets, notamment environnement et accident du travail ;
- Sur les salaires, il a reconnu un tassement salarial problématique qui contribue à la montée de l’extrême droite et a reconnu l’existence de trappes à bas salaires, mais a refusé l’indexation des salaires sur les prix au nom de la soi-disant « boucle prix salaires ». Il a indiqué vouloir prendre des initiatives pour remédier au tassement et aux minimas inférieurs au Smic sans donner de détails sur la manière dont il comptait s’y prendre.
- S’agissant de la politique industrielle, il s’est déclaré disponible pour examiner nos propositions et les situations de Clestra, Valdunes, du Fret ferroviaire et de la filière automobile ;
- Sur les hôpitaux, il considère que beaucoup a déjà été fait avec le Ségur de la santé et qu’il est difficile d’aller plus loin ;
- Sur l’éducation nationale, il dit partager le souhait de ne pas instrumentaliser les questions de laïcité en expliquant que l’annonce au 20h répondait à une demande des chefs d’établissements et a précisé qu’il n’y aurait ni décret, ni même circulaire sur le sujet car le dispositif actuel suffisait (CQFD…). Il s’est dit très favorable à travailler sur un dispositif de pré-recrutement.
La CGT a donc conclu en regrettant des désaccords très importants et en rappelant que nous voulions des résultats concrets et des avancées pour les travailleuses et travailleurs, que nous ne nous satisferions pas de mesures de «Comm’ ou gadget».
Le déroulement de ce rendez-vous est une preuve du rapport de force et de l’impasse dans laquelle se trouve le pouvoir, obligé de descendre de sa tour d’ivoire. Il ne faut évidemment avoir aucune illusion sur les orientations politiques qui sont claires, pour lesquels les désaccords sont frontaux et que la CGT continuera à contester. Il nous faut avoir conscience de notre rapport de force pour pousser les contradictions et obtenir un maximum d’avancées pour les salariés. Pour cela, la multiplication des luttes et la réussite du 13 octobre est déterminante.
Montreuil le 30 août 2023
Sophie BINET le 29/08/2023, sur France Inter "On voit bien qu'on fonce dans un mur à grande vitesse" (écouter...)
🔊 Communiqué Intersyndical - Le 13 octobre 2023, en France et en Europe, mobilisons nous contre l’austérité, pour les salaires et l’égalité femmes-hommes!