👀 La faillite du système marchand des Ehpad - Un nouveau scandale révélé par le journal L'Humanité en date du 9/10/2025


Depuis des années, la CGT dénonce la marchandisation de la santé et, tout particulièrement, l’accueil et l’accompagnement des personnes âgées dans les Ehpad à but lucratif.

Après Orpéa, c'est un nouveau scandale qui est révélé par le journal L'Humanité en date du 9/10/2025




EHPAD : HOMICIDES INVOLONTAIRES, DÉFAUT DE SOINS, ÉCONOMIE SUR LA NOURRITURE… LE GROUPE COLISÉE ACCUSÉ DE MALTRAITANCES PAR DES FAMILLES ET DES EMPLOYÉS
 
À la tête d’une centaine de maisons de retraite médicalisées, le groupe Colisée se flatte d’être le quatrième acteur français du secteur. Une vingtaine de témoignages recueillis par «l’Humanité» alertent sur des allégations de mise en danger de résidents et de manque de communication avec leurs proches.

La famille de Justine (1), 90 ans, avait conscience que le placement en Ehpad de la doyenne de la famille, devenue trop dépendante, serait un crève-cœur. Ses deux filles avaient d’abord tenté de prendre soin d’elle en l’accueillant à tour de rôle. Suite à une réunion de famille début 2021, le choix s’est finalement arrêté sur la résidence du Moulin, à Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne), à quinze kilomètres de Meaux.

Sur son site Internet, l’établissement semble cocher toutes les cases. «Dans un agréable cadre de verdure», la résidence du Moulin promet un «esprit familial».  Derrière ce lieu, un acteur central des maisons de retraite privées : le groupe Colisée, quatrième acteur national de l’accueil médicalisé des personnes âgées avec ses 156 établissements.

« J’ai trop mal »

Après moins d’un mois dans l’établissement, le 30 août au matin, la nonagénaire appelle sa fille Amélia (2). Elle est en panique. «Elle pleurait, elle me disait qu’ils lui faisaient du mal, qu’il fallait qu’on vienne vite la sortir de là», rapporte cette dernière. Amélia débarque avec Hugo (3), son fils.

À l’heure où ils se présentent, les visites ne sont pas encore autorisées. «Par un concours de circonstances inespéré, la porte, avec un code d’accès, était ouverte parce que quelqu’un venait d’entrer.» La mère et le fils retrouvent Justine. La nonagénaire profite d’un court moment en tête à tête avec sa fille. Elle lui aurait alors demandé de la suivre dans la salle de bains. Sous sa couche, la peau de Justine, assure sa fille, partait en lambeaux.

«Elle saignait comme quelqu’un qui avait ses règles. Elle hurlait de douleur.» Elle qui utilisait jusqu’alors six à sept protections par jour n’avait plus le droit, rapporte-t-elle, qu’à deux changes, le matin et le soir, sans produits de soins adaptés.

Dès le lendemain, les proches de Justine la retirent de l’établissement. L’Ehpad, d’après eux, aurait alors refusé de rembourser la caution. Interrogée sur ce point, la direction de l’établissement assure qu’elle n’a pas «pu retrouver trace» de cet épisode.

«La directrice et tout le comité de direction ayant changé depuis 2021, personne n’a le souvenir d’un incident concernant des protections – aucune limitation du nombre de protections n’étant évidemment en vigueur – ou d’une caution conservée indûment», explique-t-elle dans une réponse à l’Humanité magazine.

Le récit d’Amélia est loin d’être isolé. D’autres témoignages mettent en cause des établissements affiliés au groupe Colisée, qui vend une fin de vie rêvée à nos aînés, «cœur battant d’une société entière qui apprend d’eux», selon les termes d’un fascicule remis aux familles des résidents.

À la Maison des Buis, sur la commune de Grane (Drôme), l’Ehpad est visé par une enquête ouverte par le parquet de Valence suite à une plainte pour «homicide involontaire» déposée début décembre 2024. En cause : le décès de trois résidents suite à un accident intervenu dans la soirée du samedi 30 novembre 2024.

Les trois victimes auraient ingéré du liquide pour lave-vaisselle. «Un des résidents a eu accès au local de plonge, s’est emparé du produit de rinçage, puis l’a versé dans des verres», résume Me Baptiste Beaucourt, l’avocat lyonnais qui défend les familles des victimes.

Des meubles devant les portes endommagées

La gendarmerie, saisie de l’enquête, aurait identifié plusieurs pistes. La première : la vétusté de l’établissement. «La porte du local avait déjà subi des dommages sans que l’on sache si celle-ci avait été réparée», croit savoir Josette, membre de la famille d’un des trois résidents décédés.

«Nous avons cherché à communiquer en toute honnêteté avec les familles sur la chronologie des faits, les actions menées, dont celles pour déterminer les responsabilités ou défauts», se défend la direction de la Maison des Buis.

Un détail a choqué tous les interlocuteurs ayant accepté de témoigner auprès de l’Humanité magazine : la porte endommagée du local où était stocké le produit de rinçage aurait été laissée en l’état avec un chariot devant pour en bloquer l’accès.

Selon des éléments de l’enquête que l’Humanité magazine a pu consulter, la direction de l’établissement défend cette version : un résident «aurait forcé la porte du local plonge et se serait emparé du produit liquide vaisselle (et) aurait ensuite servi l’apéro aux résidents présents».

Une salariée de l’Ehpad contactée par l’Humanité magazine affirme que la direction a partagé cette version sur la plateforme en ligne où elle communique avec les familles des résidents, à laquelle les salariés ont accès. Mais elle met en doute la version de la porte «fracturée par un résident». Selon elle, cette porte aurait été laissée défectueuse bien avant le mois d’août 2024.

«La porte était en effet fortement endommagée depuis fin août 2024, après avoir été fracturée et démontée par un résident, maintient la direction de l’établissement dans une réponse à l’Humanité magazine. La fabrication de ce type de porte spécifique est longue, minimum trois mois. À ce jour, toutes les portes sont opérationnelles, aux normes et sécurisées.»

Une fracture du col du fémur diagnostiquée avec retard

Amélie Moy, elle, est entrée à la Villa d’Avril, à Saint-Avold (Moselle), le 30 novembre 2017. Pratiquement aveugle, sourde et souffrant de dépression avec crises d’angoisse, elle a vécu sept ans au sein de cet Ehpad affilié au groupe Colisée.

Mercredi 7 août 2024, seule une aide-soignante est en poste. Elle doit s’occuper de deux étages depuis plusieurs heures. Amélie Moy est la première à recevoir son assistance pour aller aux toilettes. «L’aide-soignante n’est pas revenue, elle a dû oublier ma maman, raconte Martine Claerebout, la fille de la patiente. Ma mère m’a dit avoir hurlé pendant plusieurs dizaines de minutes, avant de tenter de se lever seule.» Atteinte d’ostéoporose et en fauteuil roulant depuis une fracture du col du fémur, Amélie Moy tombe des toilettes.

«Elle avait des os fragiles», résume son gendre, Gérard Claerebout. Il lui faudra attendre au sol le retour de l’aide-soignante, qui finira par appeler sa collègue de nuit pour l’aider à relever la résidente. Recouchée dans son lit, celle-ci ne se serait pas immédiatement plainte de douleurs. Elle aurait commencé à sentir une gêne au niveau de ses jambes dans la nuit. Finalement, appelés par l’aide-soignante du soir, les secours l’emmènent à l’hôpital. Cet incident a fragilisé son état de santé vulnérable.

«Je l’ai trouvée plusieurs fois assise, culotte et pantalon sur les genoux», se souvient sa fille. Des photos prises par cette dernière montrent aussi la résidente affublée de vêtements salis par des traces de nourriture et de vomi. Trois ans plus tôt, en septembre 2021, Martine et Gérard Claerebout avaient déjà tenté d’alerter l’agence régionale de santé (ARS). «Ma maman était coupée du monde», soupire la fille d’Amélie Moy.

La résidente est décédée dans la nuit du 11 au 12 février 2025. Sa famille ne connaît pas les causes de la mort. « Nous sommes restés sur place tout l’après-midi, mais personne n’était disponible à l’accueil », se souvient sa fille. Seules des aides-soignantes ont répondu à la famille.

«Le décès est intervenu de manière naturelle chez une personne en fin de vie, comme en témoigne le certificat de décès, établi par un médecin, affirme la direction de la Villa d’Avril en réponse aux questions de l’Humanité magazine. Un accompagnement – un lit dans la chambre pouvant accueillir un proche, une assistance psychologique – a été proposé à la famille, qui l’a refusé.»

Le directoire de l’établissement insinue aussi que cette famille, «actuellement débitrice d’une importante créance non réglée à ce jour», tenterait de se venger. «À l’heure actuelle, la famille ne sait toujours pas précisément pourquoi Amélie Moy est morte», confirme néanmoins une salariée de la Villa d’Avril qui préfère rester anonyme.

«Le personnel est en souffrance, au bord de la dépression, fatigué, suite aux personnels non remplacés depuis les vacances d’été», s’alarmaient de leur côté les employés de la Villa d’Avril le 7 septembre 2023 lors d’un conseil social et économique (CSE) dont l’HM a pu consulter le compte rendu. «Il y a toujours eu des médecins traitants en continu depuis janvier 2024, avec une permanence famille quotidienne de 13 heures à 14 h 30 si besoin, fait valoir la direction de la Villa d’Avril dans une réponse à l’Humanité magazine. Nous avons recruté un médecin coordinateur depuis le 10 septembre 2025.»

Clémence, employée victime de l’acharnement du groupe

À la suite de l’accident d’Amélie Moy, l’aide-soignante présente ce jour-là, Clémence (L), a été licenciée le 3 septembre 2024 pour faute grave. Un entretien préalable a eu lieu le lundi 26 août. La direction de la Villa d’Avril explique à L’Humanité magazine avoir engagé «une procédure de licenciement pour faute grave, parce que nous lui reprochions d’avoir un mauvais comportement à l’égard de nos résidents».

Clémence réfute ces accusations. La directrice de la Villa d’Avril, Khélidja Boubenider, aurait écrit le mardi 27 août dans un mail adressé à sa directrice régionale, Valeriane Boisselier que l’Humanité magazine a pu consulter : «Magnifique et très heureuse de la retirer des effectifs. Je suis d’accord que la seule solution est de retirer le noyau contagieux.» Khélidja Boubenider estime de plus que ses propos «ont été sortis de leur contexte par les avocats» de Clémence.

Débutent alors, pour l’aide-soignante, plusieurs mois de bataille judiciaire avec son employeur. Clémence, par ailleurs candidate aux élections professionnelles, est finalement réintégrée le 27 septembre, soit trois jours après la tenue du scrutin.

Elle est convoquée par lettre le 2 octobre suivant pour un nouvel entretien préalable à un licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire dans l’attente d’une décision de l’inspection du travail. Par décision du 18 décembre 2024, cette dernière a refusé d’autoriser le licenciement de l’aide-soignante, considérant que «la matérialité des faits ne peut être regardée comme établie».

La direction de la Villa d’Avril a néanmoins refusé de réintégrer Clémence en invoquant un recours contre cette décision. L’aide-soignante, soutenue par les élus CGT de l’établissement, a saisi le conseil de prud’hommes fin janvier 2025.

Clémence apprend finalement, le 5 février, sa mutation dans un autre Ehpad du groupe Colisée, à Giraumont (près de Metz), soit à 80 kilomètres de son domicile. Placée en arrêt maladie deux jours plus tard, Clémence est de nouveau licenciée le 4 mars. Le conseil de prud’hommes estime, le 28 avril, que sa mutation à Giraumont et le «licenciement notifié le 24 mars 2025 constituent des troubles manifestement illicites qu’il importe de faire cesser».

Le ministère du Travail a enfin confirmé, le 5 septembre dernier, la décision de l’inspection du travail quant au licenciement de l’aide-soignante. Clémence est finalement réintégrée à la Villa d’Avril. Contactée par L’Humanité magazine (HM), la direction de l’établissement indique que des recours sont en cours. L’un est porté devant le tribunal administratif de Strasbourg et l’autre devant la cour d’appel de Metz.

L’affaire a dépassé le cadre judiciaire

Affilié au même groupe, l’Ehpad Olympe, à Trets (Bouches-du-Rhône), est visé par deux plaintes déposées le 7 janvier 2025. Les plaignants, des employés et des proches de résidents, accusent la direction de l’établissement d’avoir laissé s’installer un climat de maltraitance, avec des effectifs en nombre insuffisant, débordés, des résidents insuffisamment nourris, parfois déshydratés, privés de toilette, voire laissés dans leur vomi. «Le groupe Colisée ne fait pas des économies sur les soins ou la nourriture», assure la direction nationale à l’HM.

«Les soignants ne sont pas assez nombreux», estime un plaignant, François (4), veuf d’une résidente ayant vécu à Olympe de 2023 à 2024. Sa défunte épouse pesait près de 85 kg quand elle est entrée à l’Ehpad. En quelques mois, elle aurait perdu, selon lui, «près de 45 kg».

L’enquête ouverte par le parquet d’Aix-en-Provence, comme l’enquête administrative diligentée par l’ARS, est en cours. «Nous réfutons fermement ces accusations, se défend la direction de la résidence Olympe. Cette situation fait actuellement l’objet d’une enquête et nous collaborons avec la justice, donc nous ne pouvons pas la commenter.»

À la Maison des Buis, dans la Drôme, Isabelle (5) a dû se résoudre à engager à ses frais deux auxiliaires de santé extérieures pour s’occuper de ses parents.  Soit un coût supplémentaire de 436 euros par mois. Le travail de ces deux employées s’avère indispensable pour les assister dans leur quotidien.

Interrogée, le 9 décembre 2022, sur les possibilités de recrutement lors d’un conseil de vie sociale, la direction de cet établissement estimait pourtant qu’avec une moyenne d’un soignant pour dix résidents, «l’établissement est d’ores et déjà bien doté», selon les termes d’un compte rendu consulté par l’Humanité magazine. Elle estime, en 2025, «offrir un quotidien digne et serein à l’ensemble des résidents». Elle affirme néanmoins être active pour «améliorer ce qui peut l’être, si des manquements sont portés à (sa) connaissance».

Les factures de Colisée consultées par l’Humanité montrent que des clients ont pu débourser jusqu’à 3 692 euros par mois, entre septembre 2024 et août 2025. Le groupe pratique ainsi des tarifs élevés pour le secteur. Un rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), publié en septembre 2025, estime que le tarif moyen dans un Ehpad d’un grand groupe est de 3 038 euros mensuels.

 Tom Demars-Granja

1 Le prénom a été modifié ↩︎
2 Le prénom a été modifié ↩︎
3 Le prénom a été modifié ↩︎
4 Le prénom a été modifié ↩︎
5 Le prénom a été modifié ↩︎