QUESTIONS À J-C LE DUIGOU, ÉCONOMISTE, CONSEILLER DE LA CGT
Le projet de loi bancaire est-il de
nature à combattre les opérations spéculatives des banques ?
Ce projet de loi est un coup d’épée
dans l’eau. François Hollande avait promis de séparer les
activités bancaires classiques des activités de marché des
banques. Il s’agissait de protéger les activités de crédit du
secteur bancaire afin qu’elles servent au développement de
l’activité économique et non à la spéculation. En effet, quand
les activités de marché se trouvent dans la même entité que
l’activité de crédit, la spéculation peut se développer au-delà
du raisonnable car elle bénéficie d’une garantie implicite de la
puissance publique qui ne peut pas laisser une grande banque faire
faillite. Le projet de loi ne propose plus de « séparer les
activités », mais se contente de protéger « les
activités réalisées avec un client ». Comme toutes les
activités financières, ou presque, sont réalisées avec un client
qui peut être une entreprise, un riche particulier ou un fonds
d’investissement, ce client sera bien souvent un spéculateur. Le
tour est joué ! De fait, presque aucune activité n’est
touchée par la réforme. Cela est notamment vrai pour les produits
dérivés, ces fameux instruments financiers faits pour se couvrir
contre un risque mais qui sont très souvent utilisés pour spéculer.
Ce changement d’optique de Bercy a comme conséquence que la
spéculation va continuer d’être alimentée par le crédit lié
aux dépôts et donc par la création monétaire.
La Banque publique d’investissement
(BPI) est-elle à la hauteur des enjeux de la politique
industrielle ?
C’est un pas dans la bonne direction.
Il y a un réel problème d’accès aux prêts bancaires pour les
entreprises. Les banques sont effectivement frileuses et le seront
plus encore du fait de la nouvelle législation dite « Bâle
III » qui va renforcer le besoin de fonds propres des
institutions financières. Pour en limiter le montant, elles
restreindront les volumes de crédit distribué. Globalement, les
prêts aux PME sont classés comme « à risque » et sont
gourmands en fonds propres. C’est donc un secteur que les banques
vont, plus que jamais, tenter d’éviter. Il était donc normal de
trouver une réponse publique à ce problème. Mais dotée de
seulement 40 milliards de fonds propres, la BPI reste toute petite à
côté de son équivalent allemand, qui affiche un bilan de plus de
500 milliards d’euros. Va-t-elle se baser sur des critères
purement financiers pour accorder des prêts ? Si l’on veut
une banque publique, c’est pour avoir un fonctionnement différent
de celui des banques privées. Les critères de la BPI doivent être
le développement de l’emploi, le respect et la mise en oeuvre de
critères sociaux, la poursuite d’objectifs permettant le
développement d’une économie sans CO2…
Que propose la CGT pour drainer le
crédit vers les activités productives ?
La loi bancaire n’atteint pas la
cible pourtant identifiée. Avec la BPI, on reste au milieu du gué
avec un outil sous-dimensionné et aux critères d’intervention
encore flous. La CGT propose la constitution d’un véritable « pôle
financier public ». Il s’agit d’abord de fédérer
l’ensemble des établissements financiers publics et non quelques
éléments comme c’est le cas de la BPI. Les outils existent, il
faut simplement les mettre en synergie pour répondre à l’ensemble
des besoins non satisfaits. Ces outils, ce sont la Caisse des dépôts
et consignations dans son intégralité, Oséo, le Crédit foncier,
la Banque postale… Ces outils, il faut les faire travailler
ensemble avec un vrai contrôle citoyen. Dans le même temps, il
s’agit de peser pour une réorientation de l’ensemble des
activités bancaires et financières. La France est le pays développé
où le taux d’épargne est le plus élevé. Il est incompréhensible
que les besoins de financement publics et privés ne soient pas
couverts. De même, le crédit bancaire est détourné de sa
finalité. La part des crédits allant à l’industrie
manufacturière est particulièrement faible, à la différence de
l’Allemagne. La création de fonds régionaux pour l’emploi et le
développement économique est plus que jamais nécessaire. Les
critères d’intervention de la Banque centrale européenne doivent
être rediscutés avec nos partenaires de la zone euro. Dans la
réforme, il ne faut pas oublier la Banque de France qui n’est
aujourd’hui pas associée au projet de BPI alors qu’elle dispose
d’une connaissance précise du tissu économique local.
Propos recueillis par Laurent Mossino
dans Ensemble, le mensuel des adhérents de la Cgt, n°55 de février 2013.
dans Ensemble, le mensuel des adhérents de la Cgt, n°55 de février 2013.