La question est posée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, qui a rendu public son rapport annuel, lundi 25 février 2013.
Dossier
de presse CGLPL - Rapport annuel d'activité 2012
Les
cinq années d’expérience acquises des équipes du contrôle
général ont notamment permis de mettre en valeur la nécessité
d’étendre la protection qu’assure la loi du 30 octobre 2007 à
de nouvelles populations soumises à des atteintes ou, surtout, à
des risques d’atteinte à leurs droits fondamentaux.
On
vise ici les personnes âgées dépendantes placées en EHPAD.
Le
Contrôleur général des lieux de privation de liberté a donc
déposé un avant-projet de loi entre les mains du Premier ministre
en mai 2012 pour étendre les compétences du contrôle général aux
établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
(EHPAD).
► Trois
arguments militent en faveur de l’extension des compétences du
contrôle général des lieux de privation de liberté aux EHPAD :
1.
Les personnes âgées dépendantes sont, en institution spécialisée,
de fait privées de leur liberté.
Il
faut différencier les lieux des personnes. Les EHPAD ne sont
évidemment pas des lieux de privation de liberté assimilables à
ceux qui, par nature, ont été créés comme lieux de captivité. En
revanche, parce qu’ils accueillent des populations dépendantes,
ces EHPAD sont contraints d’assurer leur sécurité. Pour ce faire,
des établissements sont obligés d’être fermés ; la faculté
d’aller et de venir n’est alors que théorique. Or, si certaines
personnes âgées n’y restent que pour des durées de quelques
semaines, d’autres y séjournent des années.
► En
théorie il n’existe en EHPAD ni obstacles à l’entrée, ni
empêchement à la sortie. Mais en pratique de nombreux
établissements, pour la protection des personnes âgées
elles-mêmes, sont fermés (on pense ici à certaines unités dites «
Alzheimer »par exemple). La privation de liberté n’est ici pas de
droit mais de fait et peut donc entrer dans le champ de compétences
du contrôle général.
2.
La protection des personnes âgées en perte d’autonomie est une
exigence humaine.
L’état
des personnes âgées dépendantes tient avant tout à leur âge et
non pas à quelque fait dont elles seraient responsables et qui les
auraient conduites à enfreindre la loi ou à menacer l’ordre
public.
► La
perte d’autonomie consécutive au grand âge crée une dépendance
qui ne peut se résumer aux seuls critères physiques. La détresse
psychique due à un affaiblissement de la capacité de consentement
rend d’autant ces populations vulnérables. C’est donc souvent
pour les protéger d’elles-mêmes que ces personnes âgées
dépendantes sont enfermées. Cette privation de liberté est une
réalité humaine qui ne peut être ignorée.
3.
Le devoir de transparence pour les familles et le grand public.
Les
pouvoirs publics sont évidemment conscients de cette exigence depuis
longtemps. Le 7 janvier 2013 le Gouvernement a créé le « Comité
national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et
des personnes handicapées » qui remplace le « Comité national de
vigilance contre la maltraitance des personnes âgées » (institué
en 2003) dans la définition d’une politique nationale en la
matière.
Une
attention particulière existe, mais elle repose essentiellement sur
l’autodiscipline des professionnels.
Les
évaluations effectuées ainsi que les inspections sont
indéniablement nécessaires à l’amélioration des pratiques
puisqu’elles portent sur la conformité des pratiques et normes.
Toutefois,
leur nature administrative ou hiérarchique ne peut avoir les mêmes
effets qu’un contrôle indépendant qui a pour objet de vérifier
le respect des droits fondamentaux au regard des conditions de
travail des personnels et de leur influence sur les conditions
d’existence de ceux dont ils ont la charge.
► Le
contrôle général a, aujourd’hui, une expérience acquise qui
permet de garantir la réalité de son indépendance et l’efficacité
de son intervention pour vérifier l’état, l’organisation et le
fonctionnement de ces lieux. Son contrôle serait complémentaire des
évaluations et inspections.
► Si
la loi de 2007 créant le contrôle général circonscrit son action
à la privation de liberté quand elle résulte de la « décision
d’une autorité publique » et si la décision de placement d’une
personne âgée dépendante provient d’une initiative privée
(volonté de la personne ou de celle de sa famille), il est bien
clair qu’une fois placée en EHPAD, elle ne pourra plus en sortir,
sauf autorisation. De là, la distinction entre le caractère public
ou privé de l’auteur de la décision est formelle. C’est le sens
pratique qui compte et qui peut amener à changer par amendement,
pourvu que la portée en soit très précisément délimitée.
Le
contrôle des EHPAD se fonderait sur les méthodes d’investigation
que le contrôle général pratique depuis cinq ans.
Les
méthodes appliquées par les contrôleurs, qui reposent sur sept «
convictions », s’appliqueraient aux EHPAD :
► la
nécessaire liberté de mouvement dans ces lieux où elle n’existe
pas ;
► l’absolue
nécessité du recueil contradictoire des données, s’agissant en
particulier des déclarations recueillies au cours d’entretiens ou
d’affirmations lues dans les correspondances, tant avec les
personnes qu’avec les personnels ;
► le
caractère confidentiel des données recueillies et des entretiens
menés ;
► la
longueur du temps passé dans les établissements visités ;
► la
rigueur avec laquelle les contrôleurs doivent se comporter dans les
visites (dans le respect des personnes quelles qu’elles soient),
doivent recueillir les données qui leur sont nécessaires et rendre
compte de manière impartiale de leur mission ;
► l’exigence
de saisir l’ensemble des facteurs qui pèsent sur la détermination
de bonnes ou de mauvaises conditions de privation de liberté et,
notamment, à cette fin, de s’intéresser aux conditions de travail
des personnels ;
► la
vigilance qu’on doit avoir en commençant chaque visite, à la
nécessité de fuir la routine, à l’interrogation permanente qui
est de mise sur les méthodes de travail de l’institution, au
nécessaire
perfectionnement de l’acquisition des données.
Repères
Le
nombre des personnes âgées est appelé à croître fortement dans
les années à venir et plus particulièrement à partir de 2020
jusqu’à 2035, quelles que soient par ailleurs les hypothèses
formulées en termes de fécondité, de morbidité et de flux
migratoires qui sont les autres facteurs déterminant la pyramide des
âges.
Après
2035, la population des personnes âgées et très âgées continuera
très vraisemblablement d’augmenter, mais avec davantage
d’incertitudes, en raison des variations susceptibles d’affecter
les trois facteurs susmentionnés.
► En
2060, 23,6 millions de personnes seraient âgées de plus de 60 ans,
soit un accroissement de 80% en 53 ans ;
► le
nombre des 75 ans et plus passerait de 5,2 millions en 2007 à 11, 9
millions ;
► le
nombre des 85 ans et plus passerait de 1,3 à 5,4 millions5.
Le
nombre d’établissements d’hébergement (au
31 décembre 2007 – dernières données disponibles) s’élève à
10300 comportant 684000 places et accueillant 657000 résidents.
► Les
EHPAD représentent 67% des établissements et 75% des places
disponibles, les maisons de retraite composant l’essentiel et les
unités de soins de longue durée occupant une place beaucoup plus
faible (moins de 10% de ces 75%), les logements-foyers représentant
une offre intermédiaire.
La
durée moyenne de séjour dans ces établissements est de deux ans et
six mois. Si 230000 personnes y entrent chaque année, autant en «
sortent », dont 60% pour cause de décès.