★ Au Sénat, Hidalgo annonce la fusion du Centre d'Action Sociale de la Ville de Paris et de la DASES - Retranscription intégrale de l'audition ★

Au Sénat le 29 juillet 2020 dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques face aux pandémies Hidalgo annonce la fusion du CASVP et de la DASES. (vidéo et retranscription de l'audition)

Suivre le lien pour la vidéo (voir vers 09 h 49)
  • La déconcentration totale de tous les services de la ville de Paris.
  • La fusion du CASVP et de la DASES pour avoir plus de fluidité.
  • La possibilité pour les maires d’arrondissements de visiter les EHPAD de la ville de Paris qui sont sur leur territoire et de faire le point régulier. 
  • La création d’une délégation d’adjoints aux maires chargés de la résilience notamment des suivies des équipements des produits permettant d’assurer de garantir la sécurité sanitaire en cas de crise sanitaire ou autres 
  • La création d’une direction de la santé publique et de l’environnement en étroite collaboration avec l’APHP avec l’ensemble des acteurs territoriaux parisiens.
La prochaine commission d’enquête du Sénat aura lieu le 1/09/2020 (SAAD et EHPAD).

Retranscription intégrale de l'audition (commentaires de la CGT à la rentrée de septembre)
Mercredi 29 juillet 2020
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition commune de M. François Baroin, maire de Troyes et président de l'Association des maires de France, M. Frédéric Bierry, président du département du Bas-Rhin et président de la commission « affaires sociales et solidarité » de l'Association des départements de France, et Mme Anne Hidalgo, maire de Paris
M. Alain Milon, président. - Nous clôturons nos travaux, poursuivis tout au long de ce mois de juillet, sur les aspects territoriaux de la gestion de la crise sanitaire en entendant ce matin M. François Baroin, qui est maire de Troyes et président de l'Association des maires de France (AMF), M. Frédéric Bierry, président du département du Bas-Rhin et président de la commission « affaires sociales et solidarité » de l'Association des départements de France (AMF), et Mme Anne Hidalgo, maire de Paris.

Ils nous feront part de leur retour d'expérience sur cette crise et, pour l'AMF et l'ADF, des retours qu'ont pu faire les différentes collectivités qu'elles représentent. Que faudrait-il faire différemment en cas de nouvelle pandémie ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Baroin, M. Frédéric Bierry et Mme Anne Hidalgo prêtent serment.

Mme Anne Hidalgo, maire de Paris. - La crise du coronavirus a bouleversé nos vies. Nous nous sommes, en tant que société, en tant que pays, rendu compte à quel point notre équilibre est fragile et combien, dans de tels moments, la solidarité nous permet de tenir bon malgré les circonstances. J'ai vécu cette crise au plus près des Parisiennes et des Parisiens, et ce que j'ai vu pendant ces semaines me marquera à vie. Cette crise changera peut-être durablement notre manière de vivre. En tant que décideurs publics, elle nous impose aussi de changer nos manières de faire.

Face à une crise comme celle que nous avons traversée, et qui encore aujourd'hui est loin d'être terminée, il nous faut faire preuve d'humilité, de modestie, tant ce qui s'est passé était hors normes. À l'évidence, il faut réagir le plus vite possible, de la façon la plus adaptée au contexte local, et il faut faire coopérer deux échelles de décision et deux impératifs qui, en apparence, peuvent être contradictoires, mais qui, de fait, se révèlent complémentaires : d'une part, un commandement centralisé à l'échelle de l'État pour la gestion d'une crise sanitaire majeure, qui a de surcroît une dimension nationale et internationale, et, d'autre part, la nécessité de donner aux collectivités territoriales, plus opérationnelles et plus au fait des réalités locales, la liberté d'agir, de prendre des initiatives, d'aller au-delà des contraintes administratives pour trouver des solutions concrètes.

C'est ce que nous avons fait. Je l'ai vécu avec mon adjointe en charge de la santé, Mme Anne Souyris, ici présente. Je l'ai vécu à plusieurs reprises lors de cette crise, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) parisiens. Et nous avons bien vu dans les hôpitaux publics qu'un cadre administratif strict freine parfois la flexibilité, la réactivité et la créativité nécessaires pour faire face à une situation comme celle-ci. Le dépassement de ce cadre doit être, pour l'action publique, une leçon à tirer de cette crise, même s'il doit se faire au sein d'une coopération fluide et transparente entre les différents échelons de décision.

La Ville de Paris a été totalement en phase avec l'unité de commandement regroupant le préfet de police et le préfet de zone, en lien avec l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France et, bien sûr, le préfet de région Île-de-France.

Nous avons assumé notre responsabilité à plusieurs reprises en agissant pour protéger, notamment les plus fragiles et, parfois, lorsque cela était nécessaire, en allant au-delà de doctrines nationales qui manifestement n'étaient pas toujours adaptées. Je pense bien sûr à la question des masques, mais aussi au dépistage systématique, notamment dans les Ehpad.

Dès la semaine du 23 mars, j'ai entrepris de faire évoluer la doctrine sur ces sujets. J'ai d'ailleurs plaidé régulièrement, dans les rendez-vous quotidiens que j'avais avec les autorités sanitaires et les représentants de l'État, pour une généralisation du dépistage et même pour le dépistage systématique, y compris des personnes non symptomatiques, en commençant par tous les Ehpad de Paris et d'Île-de-France.

Le 2 avril, j'ai demandé aux services de la ville d'engager directement, et sans attendre le feu vert des autorités nationales, une campagne de dépistage des personnels et des résidents des Ehpad, y compris asymptomatiques. J'ai pu mener cette campagne grâce au partenariat que nous avions tissé avec les laboratoires privés, qui nous ont fourni les tests PCR (Polymerase Chain Reaction) nous permettant de commencer. Ce n'est que le 6 avril que le ministre de la santé a annoncé à son tour une vaste opération de dépistage dans les Ehpad.

J'ai compris très vite que masques et tests étaient les deux éléments qui nous permettraient de reprendre une vie à peu près normale après le déconfinement. Dès le 29 mai, nous avons commencé à lancer des opérations partout dans Paris, accueillant jusqu'à plus de 1 000 personnes. Je pense à des dépistages systématiques et gratuits, à la fois par des tests PCR et sérologiques, par exemple sur le marché de Belleville ou dans des quartiers populaires où il y a peu de médecins traitants. Nous proposons désormais ce type de dépistage quotidiennement, notamment sur les deux sites de Paris-Plage. À la rentrée, nous recommencerons dans chaque arrondissement.

Nous avons pu agir concrètement sur les problèmes qui se posaient - parce que nous avions une expérience éprouvée de la gestion de crise -, en mobilisant les agents dévoués à leur mission de service public et tout l'écosystème parisien ; je pense aux réseaux associatifs, aux structures, aux relais que nous avons pu activer, dans des conditions très particulières, et qui nous ont permis d'avoir un levier d'action efficace, y compris dans la pire période du confinement.

En matière de gestion de crise, la ville a aussi une expérience particulière, puisque ces dix dernières années nous avons éprouvé des crises d'une intensité et d'une fréquence inégalées, ce qui nous a permis de tisser avec les autorités de l'État, à l'échelle du territoire, une relation de confiance précieuse en de telles circonstances. La confiance qui régnait entre nous et le préfet de police, le préfet de région, les autorités sanitaires, les sapeurs-pompiers, le SAMU, sans parler de tout le réseau associatif, nous a permis d'aller très vite et d'interagir avec beaucoup d'efficacité, dans le cadre d'échanges, je le redis, multiquotidiens et d'une grande fluidité.

Conformément à l'expérience que nous avions acquise au cours des crises précédentes, nous tenions une réunion de coordination tous les jours, autour de la préfecture de zone, avec l'ARS, le préfet, le rectorat, puisqu'un certain nombre d'écoles étaient demeurées ouvertes pour accueillir les enfants de soignants, et, plus généralement, tous ceux qui étaient en première ligne : j'avais demandé, là aussi en décalage avec la doctrine nationale, que l'on accueille les enfants des caissières, des employés de supermarché et des agents de la RATP, pour que nous puissions maintenir le niveau d'activité strictement nécessaire pendant le confinement. Les décisions prises lors de cette réunion étaient mises en oeuvre par la cellule de crise de la ville, qui se réunissait aussi quotidiennement, immédiatement à la suite de cette réunion. Il y avait donc une fluidité parfaite.

La ville a participé de manière très active et transparente à la coordination des actions, et elle s'est mise en capacité de présenter chaque jour un point complet des actions engagées et de toutes les situations signalées et connues par la collectivité. Nous tenons le recueil de tous ces documents à la disposition de votre commission d'enquête, qui y trouvera un compte rendu régulier, quotidien, de la situation et des actions entreprises.

Je pense à toutes les familles qui sont en deuil, ou qui ont encore des malades. Et je veux redire ici que les agents de la ville ont été, eux aussi, mobilisés comme jamais.

Les masques et les tests nous sont vite apparus comme des éléments-clés pour gérer la situation pendant le confinement et après le déconfinement. Or il y avait pénurie des uns comme des autres. Heureusement, la Ville de Paris avait renouvelé chaque année ses commandes de masques, et n'avait pas détruit ses stocks, que j'ai fait expertiser dès le premier jour du confinement par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), en lien direct avec M. Martin Hirsch. C'est ainsi que j'ai pu fournir dès le début du confinement, c'est-à-dire le 16 ou le 17 mars, 2,5 millions de masques directement à l'AP-HP. En effet, les masques que nous avions stockés depuis 2012 étaient encore utilisables. Dès la première semaine, j'ai aussi fait livrer 500 000 masques à tous les médecins et infirmiers, bref au secteur libéral de la ville, qui était démuni alors qu'il était en première ligne. J'ai également fourni des masques à toutes les associations humanitaires intervenant auprès des personnes sans domicile fixe et sur la question de la grande précarité. Pour votre information, nous avons livré 17 000 repas par jour pendant le confinement, grâce à l'appui des services de la ville, des bénévoles, y compris de nombreux bénévoles extérieurs à la ville - évidemment, nous avons fourni des masques à tous ces intervenants.

J'ai aussi décidé de fournir en masques tous les Ehpad du territoire parisien dès la première semaine du confinement, pour équiper tous les personnels de ces établissements, y compris ceux qui ne sont pas gérés directement par la Ville de Paris. Nous avons coopéré avec les pharmacies pour déployer du gel hydroalcoolique, en nous appuyant sur l'initiative d'un pharmacien du sixième arrondissement, qui avait installé un centre de fabrication en plein Paris ! Grâce à lui, nous avons pu distribuer du gel et faire en sorte que, dès le début du déconfinement, il y ait du gel hydroalcoolique à disposition sur le mobilier urbain - en coopération avec la société Decaux, notamment.

Nous avons développé des campagnes massives de dépistage, en nous appuyant d'abord sur nos propres agents. Étant une grosse collectivité, la Ville de Paris a la chance d'avoir parmi ses employés des médecins et des infirmiers : tous sont venus prêter main-forte pour les opérations de dépistage.

Nous tirons aussi des leçons de cette crise pour notre propre organisation. J'ai pris la décision de créer une direction de la santé publique et de l'environnement, en étroite collaboration avec l'AP-HP et l'ensemble des acteurs territoriaux parisiens. Nous avons vu, en effet, que la coopération entre ville et hôpital a été vraiment intéressante. Malgré quelques difficultés au début, elle a bien fonctionné. Cette direction de la santé publique et de l'environnement permettra de la renforcer. J'ai décidé aussi la déconcentration totale de tous les services de la ville et la fusion du Centre d'action sociale de la Ville de Paris (CASVP) et de la Direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (DASES), pour accroître la fluidité. J'ai décidé de donner aux maires d'arrondissement la possibilité de visiter les Ehpad de la ville et de faire des points réguliers avec les directions des Ehpad présents dans leur arrondissement. Comme les Ehpad relèvent du département, les maires n'avaient pas de facilités pour le faire. J'ai décidé la création d'une délégation d'adjoint au maire chargé de la résilience, notamment du suivi des équipements et des produits permettant de garantir la sécurité sanitaire en cas de crise sanitaire ou autre.

En ce qui concerne la relation avec l'État, nous voyons que le niveau territorial a plutôt bien fonctionné, de manière fluide et respectueuse des acteurs. Cela m'amène à penser que le niveau central doit être beaucoup plus fortement déconcentré et, en même temps, à espérer qu'une nouvelle étape de décentralisation puisse être engagée, afin de s'appuyer sur l'agilité des territoires qui, dans la gestion de ce type de crise, ont démontré qu'ils étaient sans doute les mieux à même de répondre aux attentes et aux besoins de leurs habitants.

M. François Baroin, maire de Troyes et président de l'Association des maires de France (AMF). - Merci de m'avoir invité à participer à vos travaux. C'est l'occasion, pour l'AMF, de mettre en lumière le rôle et la place des collectivités, en particulier des maires, aux côtés de l'État dans cette crise qui fut, comme l'a dit très justement Mme Anne Hidalgo, hors norme, sans référence, pour laquelle nous n'avions pas de repères autres que notre volonté permanente, en tout temps, tout lieu, toute circonstance, d'être aux côtés de nos populations, pour les protéger, les rassurer, les accompagner.

Je partage tous les points qui ont été évoqués par Anne Hidalgo, en soulignant toutefois la singularité parisienne : le cadre général d'un statut, celui d'une ville-département, un lien très particulier avec l'AP-HP et une relation singulière, liée aux problématiques d'ordre public, avec la Préfecture de police de Paris.

S'il y a une singularité parisienne, il y a aussi beaucoup de points communs dans la manière dont nous avons été amenés, au jour le jour, à nous adapter, à nous associer, à être à l'écoute avec, à chaque minute, la claire conscience que cette crise est d'abord et profondément humaine. Elle est d'abord et profondément psychologique : elle réside d'abord et profondément dans l'état de sidération de nos populations, dans la peur, qui continue aujourd'hui encore à irriguer de manière très préoccupante nos territoires. Les conséquences de la sortie du confinement, y compris sur le plan psychologique, individuel ou collectif, doivent être au coeur de la réflexion sur une nouvelle organisation, pour mieux prendre en compte les problèmes qui se sont posés.

Je rappelle quelques principes simples. Tout d'abord, en matière de santé publique, les maires et les présidents d'intercommunalités n'ont pas de compétence. La santé est une mission régalienne, exercée sous l'autorité de l'État et, si les maires sont présidents de conseils de surveillance des hôpitaux, ils sont en général plutôt sur la cheminée, comme une horloge ! Je ne dis pas que c'est inutile - quelqu'un passe la poussière en début de semaine... Mais la responsabilité de l'organisation des voies et moyens pour avoir un hôpital efficace n'appartient pas au maire. Elle relève du directeur général, qui agit sous le contrôle de l'ARS, déclinaison régionale et territoriale du ministère de la santé.

Cette crise est venue de l'extérieur. Lorsque nous l'avons vue se développer en Chine, puis en Italie, un certain nombre d'élus ont commencé à anticiper les problèmes qui pouvaient se poser assez rapidement, notamment celui des masques.

La tension observée sur les masques a été le premier sujet de préoccupation des maires. Comment protéger nos populations ? Quels types de population devions-nous protéger ? Quels étaient les publics prioritaires ? La doctrine de l'État a été assez variable, évolutive, avec des crêtes et des creux, comme on dit pudiquement. Mais, pour être clair, on a habillé de mensonges une pénurie ! Et nous nous sommes retrouvés, les uns et les autres, dans nos territoires et nos départements, dans une situation d'extrême tension.

La priorité a été de servir la médecine de ville. Le ministère de la santé connaît incontestablement une hypertrophie hospitalière, qui s'est manifestée de manière spectaculaire à travers cette crise, comme d'ailleurs dans l'organisation du Ségur, auquel les collectivités locales ont été associées lors d'une première réunion. Pour des départements moyens, comptant 300 000 ou 400 000 habitants, l'hôpital est souvent le premier employeur, et le premier investisseur public. Il est fondamental dans l'équilibre, dans l'écosystème, dans le cadre général. Mais il n'est pas le seul à prodiguer des soins : 98 % des soins sont prodigués par la médecine de ville !

Or, tous les masques ont été affectés par priorité à l'hôpital. Et toute la médecine de ville, le secteur médico-social, les aides-soignantes, les infirmières et les pharmaciens se sont trouvés dès le début du confinement dans une situation d'absolue pénurie de masques. La première attention des maires a été de s'assurer de la distribution des masques au public prioritaire sur le plan médical, pour protéger des populations qui, elles-mêmes, étaient peu à peu touchées par la covid-19.

Deuxième élément de réflexion : le confinement a été une décision de l'État, et non des élus. Les maires sont intervenus tout au long du confinement, sous l'empire de l'état d'urgence sanitaire, que personne n'a contesté et qui avait du reste été validé par la représentation nationale après avoir été décrété par l'État. Les pouvoirs de police propre du maire ont été rognés par ce cadre juridique hors norme, exorbitant du droit commun, et dans lequel nous n'avions pas tous les moyens traditionnels dont dispose un maire. Le meilleur exemple de cette situation est certainement l'arrêté pris par M. Philippe Laurent, maire de Sceaux, et rendant le port du masque obligatoire dans tout l'espace public. Cet arrêté a été retoqué par le Conseil d'État, qui a fixé sa doctrine en rappelant que l'État avait les pleins pouvoirs dans ce domaine. Il ne s'agit pas pour moi de discuter cet arrêt du Conseil d'État : je ne fais que rapporter le témoignage d'un maire parmi tant d'autres, de mon point de vue de président d'une association qui coordonne et qui a une vision globale.

Je ne formule ici ni reproches ni critiques, et je pense même, comme l'a dit Mme Anne Hidalgo, qu'il fut extraordinairement difficile de gouverner au milieu de cette crise inédite, en s'appuyant sur une connaissance scientifique très parcellaire et encore évolutive. Cela doit nous amener, avec beaucoup d'humilité et ce sens des responsabilités dont nous avons fait preuve tout au long de la crise, à regarder comment on peut améliorer le système, et non à critiquer le passé, ce qui serait assez vain. Les commissions idoines, les institutions et autorités compétentes, auront éventuellement à se prononcer sur le passé. Pour nous, nous formulons des constats sur ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné.

Lorsque le confinement s'est mis en place, la priorité, pour les maires, a été de se débrouiller pour trouver des masques. Dans un second temps, ils ont été confrontés à la problématique des tests. Ils ont observé avec intérêt ce qui se passait dans d'autres pays, notamment en Allemagne. Cela a amené beaucoup de régions à prendre l'initiative, ce que je salue : elles ont ainsi marqué leur existence, elles ont investi, elles ont pris des contacts internationaux... Cela a permis d'éviter une casse plus importante.

Au fil de ces deux mois de confinement, il est apparu avec évidence qu'il y avait un double pilotage, par le ministère de la santé et par le ministère de l'intérieur. Le ministère de la santé fonctionne en silos - je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que j'ai participé à des majorités ou à des gouvernements qui ont modifié la gouvernance hospitalière et l'organisation structurelle du ministère de la santé ! Il y a des personnes formidables dans ses services, ou dans les ARS, mais le ministère de la santé n'est pas le ministère de la logistique ni celui de la gestion de crise. Le ministère de la gestion de crise, pour les élus, pour les collectivités locales, c'est le ministère de l'intérieur, éventuellement le ministère de la défense, et probablement, en l'espèce, les deux. Or le ministère de l'Intérieur a été dans une double commande, mais en second rang. L'interlocuteur, pour les maires, était l'ARS. Mais les ARS sont de niveau régional et les ARS départementales avaient très peu de moyens et attendaient les consignes. Résultat, le temps de latence entre ce que demandait un maire et la retombée des informations était beaucoup trop important, dans le contexte d'une crise devant faire l'objet d'une gestion quotidienne.

La leçon que nous tirons est que, dans une crise de cette nature, il faut faire un choix. Nous aurions largement préféré que le ministère de l'intérieur soit celui qui gère cette crise. Nous aurions souhaité le rétablissement du Conseil national de sécurité civile, qui nous était familier et qui a été abandonné lors du mandat précédent. Nous aurions souhaité une intégration beaucoup plus importante des zones de défense et l'appui des militaires, puisque, au fond, c'était une guerre, d'abord et avant tout, de logistique, avec une pénurie de masques et la nécessité de faire assurer l'accompagnement de populations fragiles par les élus de proximité.

Cela aurait-il mieux fonctionné ? Il a été déclaré que c'était une guerre, probablement à juste titre. Une guerre se gagne par la logistique, et elle se gagne au dernier kilomètre. Or nous étions très loin, du côté de l'État, du dernier kilomètre. Si les maires ont occupé tant de terrain, c'est qu'ils étaient, eux, très près du coin de la rue ! Et ils ont eu la capacité, par des méthodes pragmatiques, de décider qu'un hôtel de ville, par exemple, devenait un centre logistique. C'est ce que j'ai fait à Troyes : j'ai décidé, au bout de quatre jours, de mettre en place à l'hôtel de ville un dispositif complet de logistique. J'ai eu l'accord tacite du préfet et de l'ARS, et je les en remercie.

Il faut dire que nous avons été favorisés, dans notre territoire, par la présence d'ouvrières du textile, ce qui explique mon masque - je ne le porte pas pour faire de la publicité à la marque qu'il arbore, mais en signe de remerciement pour toutes les ouvrières qui, dès le premier jour, sont retournées dans leurs usines, qui ont travaillé avec un courage extraordinaire, la peur au ventre, offrant 75 000 masques aux Troyens. Grâce à cet écosystème qui nous a favorisés, nous avons rapidement eu des masques chirurgicaux et des blouses, que nous avons stockés à l'hôtel de Ville et que nous avons distribués avec l'aide des agents techniques. Nous avons demandé l'appui, quelques jours plus tard, du cinquième régiment de dragons, dont la ville de Troyes est marraine, et je remercie les autorités concernées de leur accord tacite.

Cette organisation logistique a largement rassuré la population, ce qui était le premier objectif, et a permis de protéger les soignants, ce qui n'était pas moins important. Cela nous a mis en position, ensuite, de créer un dispositif d'accompagnement de la sortie progressive du confinement.

Pour résumer, le ministère de la santé fonctionne en silos, à l'échelle régionale, avec à tous les étages du personnel de grande qualité et de bonne volonté, mais qui n'était pas formé pour gérer cette problématique logistique. Nous devons tirer les leçons de cette crise, puisque votre commission d'enquête a vocation à connaître de la réalité des faits, pour ceux qui étaient aux responsabilités, et à éclairer l'opinion, ainsi que certainement la représentation nationale, sur les choix opérés pour la suite.

Les maires sont intervenus pendant toute la période préalable au déconfinement, mais pas pour le confinement, pour lequel ils n'ont pas été sollicités. Ils ont donc été non pas des acteurs du confinement, mais des agents de l'État au service d'une décision de l'État et de la déclinaison locale d'une politique de santé portée au niveau national, sous l'autorité de l'État. Je souhaite à ce propos rendre hommage à tous les agents territoriaux, qui ont été, sur tout le territoire français, au premier rang, avec beaucoup de courage et de force. Je pense aux agents de propreté, aux rippeurs, aux policiers municipaux, aux agents techniques qui ont été réquisitionnés ; je pense à tous ceux qui ont accompagné un certain nombre d'associations pour garantir l'alimentation des plus fragiles, à ceux qui travaillaient à domicile, pour organiser des systèmes d'accompagnement et de suivi par téléphone, ce qui nous a permis d'éviter le pire.

Pour autant, pas une seconde ne passe sans qu'un maire ne pense aux familles endeuillées. L'abondance des décès a été très douloureuse pour tout le monde. Dans le Grand Est, il n'y a pas une famille qui ne connaisse quelqu'un qui a perdu un proche. Les services funéraires organisés par la ville resteront comme des traces indélébiles dans la mémoire de l'histoire de ces familles. Nous avons en effet été contraints de fixer un cadre réglementaire tragique, limitant à dix le nombre des assistants, imposant des distances de sécurité, interdisant de dire au revoir à la personne décédée ou de se recueillir sur le corps, et même de l'observer à distance. Cela restera comme une expérience très singulière...

Néanmoins, nous avons répondu « présent » à tous les étages des responsabilités qui étaient les nôtres, et d'abord en tant qu'agents de l'État, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, au service d'une politique publique de santé hors norme.

Pour les masques, l'AMF a été un acteur parmi d'autres, mais un acteur rapide et véloce, puisque nous avons commandé près de 7 millions de masques à destination de 54 départements, pour plusieurs centaines de communes qui n'avaient les moyens ni d'avoir accès à des masques qui n'existaient pas ni de passer elles-mêmes les commandes, parce qu'elles ne connaissaient pas les structures, les fournisseurs et encore moins le cadre général de logistique. Nous avons donc été un prestataire au service des communes.

En ce qui concerne les tests et l'isolement, nous n'avions pas les mêmes moyens qu'à Paris dans toutes les communes de France ! Beaucoup de communes ont essayé de prendre l'initiative. Malheureusement, une pénurie de tests a été observée dans de très nombreuses régions, et même, ce qui est plus surprenant pour ceux qui, comme moi, ne sont pas issus du corps médical, une pénurie de réactifs. Il ne suffisait pas d'avoir des tests : on nous disait qu'il faudrait attendre les résultats pendant trois jours, faute de disposer de réactifs, qu'il fallait faire venir d'une autre région. Il a donc fallu organiser en urgence des dispositifs pour s'en procurer, et je rends hommage aux départements, qui ont créé un lien avec les laboratoires vétérinaires, dont la puissance est plus importante et grâce auxquels nous avons pu rattraper un peu de retard.

Les relations avec les ARS ont été très inégales. En Île-de-France, de l'avis général d'à peu près tous les élus, cela s'est relativement bien passé. Dans le Grand Est, l'appréciation est légèrement différente. Nous avons été interloqués d'apprendre que notre ARS gérait depuis Paris une partie de la crise, alors que nous avions le foyer épidémique le plus puissant en France. Et son directeur général n'a pas pu prendre l'avion présidentiel lorsqu'Emmanuel Macron s'est rendu à Strasbourg, parce qu'il y avait plus de place... Il était donc à Paris lorsque le chef de l'État est venu annoncer la mise en place de l'hôpital militaire ! Nous n'avons pas de mauvaises relations avec lui, mais cela interpelle. Et quelques jours plus tard, au coeur de la crise, alors que la problématique comptable et budgétaire était évoquée, il a insisté sur le fait que Nancy devrait atteindre les objectifs de réduction d'effectifs et de moyens affectés au centre hospitalier ! Bref, nous avons eu un sentiment d'éloignement, même si les représentants de l'État, les préfets, ont essayé de faire au mieux. La coordination générale a fait ressortir les ARS comme étant des éléments à part, éloignés du problème que nous vivions, à savoir protéger la médecine de ville et les populations en organisant des distributions de masques et des campagnes de tests.

Ce qui s'est passé dans les Ehpad est un immense sujet, qui relève davantage des départements, et je pense que votre commission d'enquête aura à connaître, dans le détail et précisément, jour après jour, des consignes qui ont été données, du cadre général et de la réalité de ce qui s'est passé.

En ce qui concerne les écoles, nous sommes intervenus clairement auprès du ministère de l'éducation nationale, pour le confinement et pour le déconfinement. Pour tout ce qui relève de la petite enfance, de l'accueil des enfants des personnels prioritaires et des protocoles sanitaires d'accueil, cela s'est passé aussi bien que possible. Et la continuité des services publics s'est organisée dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Si nous n'avons pas été associés au confinement, nous avons été pleinement associés au déconfinement. Nous avons été des acteurs de l'écriture de ce qu'a proposé l'État. L'État a compris très rapidement - il faut lui rendre hommage sur ce point - que c'étaient les maires et les élus locaux qui seraient au premier rang. Nous avons eu de nombreux échanges avec M. Castex, qui nous sont permis de fixer, et d'une certaine manière d'imposer, la responsabilité du préfet de département, dont nous souhaitons qu'il se réapproprie l'autorité sur l'ensemble des administrations, des ARS aux recteurs. Cette déconcentration, indispensable, est l'une des leçons de la crise.

Dans l'organisation du déconfinement, la problématique majeure a été celle des écoles. Lors des débats sur le renforcement du cadre juridique, nous avons entendu des choses qui ne flattaient pas les oreilles, mais nous ont tout de même interpellés. L'éducation est nationale, elle n'est pas municipale. Lorsque l'État demande à un maire d'intervenir sur le temps de l'Éducation nationale, celui-ci peut le vivre comme une demande autoritaire d'une municipalisation de l'éducation nationale, avec une part de responsabilité qui ne peut pas être la sienne, puisque, justement, sa responsabilité n'intervient que dans le temps qui n'est pas celui de la diffusion du savoir et du programme de l'Éducation nationale. C'est cela qui a amené les maires à souhaiter que la représentation nationale renforce leur protection juridique, ce qui a été suffisamment bien fait pour nous amener jusqu'au 10 juillet, date de fin de l'état d'urgence sanitaire.

Enfin, avant que vous n'entriez dans le dur de la préparation de la loi de finances, pour être au rendez-vous de la relance de l'investissement public, je souhaite rappeler que ce dernier est porté, à hauteur de 70 %, par les collectivités locales.

M. Frédéric Bierry, président du département du Bas-Rhin et président de la commission « affaires sociales et solidarité » de l'Association des départements de France (AMF). - Je structurerai mon intervention en trois temps. Je ferai tout d'abord la chronologie de la crise, au regard de la situation particulière que l'Alsace a pu vivre pendant cette période, puis j'élargirai mon propos à l'engagement des départements de France, avant de tirer les leçons de la crise et de formuler quelques propositions.

En Alsace, nous avons vécu une situation sanitaire inédite, avec le cluster de Mulhouse, qui a eu ensuite un impact majeur sur le territoire. Sur une population de quelque 2 millions d'habitants, l'Alsace a enregistré près de 1 500 décès. Nous avons donc été meurtris. Quand on vous annonce chaque jour une dizaine de décès dans les Ehpad, c'est particulièrement difficile à vivre. Nous avons tous des connaissances qui sont décédées, à tous les âges de la vie. Pour ma part, deux de mes collaborateurs sont décédés de la covid, alors qu'ils avaient moins de 50 ans. Nous sortons tous avec une forte douleur de cette situation de crise particulière.

Nous nous sommes engagés dans la vie publique pour servir nos concitoyens et porter des dynamiques de territoire. Et nous nous sommes retrouvés propulsés, sans apprentissage, dans une action ayant pour but de sauver des vies. Il fallait être dans l'agilité et la réactivité. Au début du mois de mars, on nous a dit que c'était une grippe un peu plus sévère que d'habitude et que les personnes les plus touchées étaient les personnes âgées. Les présidents de département ayant la responsabilité des personnes vieillissantes, nous nous sommes tous sentis directement concernés.

D'emblée, au vu les premiers signes de l'épidémie à Mulhouse, j'ai déclaré qu'il fallait absolument prendre des mesures de confinement dans les Ehpad. C'était avant toute décision de l'État.

Lors des premières rencontres avec l'ARS, on nous disait qu'il fallait mettre en place dans les Ehpad les mêmes mesures que pour une grippe classique. Toutefois, il existe une grande différence entre une grippe classique et le covid. Dans le cas d'une grippe classique, la plupart des pensionnaires des Ehpad sont vaccinés et il n'y a pas de gens asymptomatiques. La situation justifiait donc une position différente. C'est ce que j'ai proposé d'emblée à l'ARS, et elle l'a accepté.

Dès le début du mois de mars, des mesures de confinement ont été décidées. L'organisation mise en place m'a permis d'être en lien tous les jours - j'insiste sur ce point - avec chaque Ehpad. Je connaissais donc au quotidien le nombre de personnes touchées ou soupçonnées d'être touchées, qu'il s'agisse des pensionnaires ou du personnel soignant.

Nous avons aussi très vite pris conscience que nous aurions des problèmes de personnel : nombre d'agents étaient touchés. Nous avons tout de suite mis en place des réserves. Plus de 400 sapeurs-pompiers du département sont intervenus en soutien. Nous avons aussi procédé au glissement des tâches pour faire du zonage. Idem pour les dérogations au temps de travail. Nous avons développé la télémédecine. D'emblée, très tôt, nous avons pris des mesures de confinement et d'accompagnement des équipes des Ehpad, ce qui a été fondamental. Si nous avions pu réaliser des tests immédiatement - nous les avons demandés dès le début du mois de mars - nous aurions pu réduire de moitié au moins les décès dans les Ehpad. Bien involontairement, les professionnels de santé symptomatiques ont contribué à communiquer la maladie, ce qui aurait pu être évité.

Quoi qu'il en soit, ces mesures fortes ont permis de limiter la casse : sur les 138 Ehpad du département du Bas-Rhin, un peu plus de 90 ont été touchés et certains ont pu éviter la crise.

Par ailleurs, nous avons été confrontés à un besoin criant en masques, en gel et en surblouses. Nous n'étions pas préparés du tout. Contrairement à la Ville de Paris, la plupart des départements n'avaient pas de stocks pour faire face à une crise importante. Nous avons donc fait feu de tout bois. Nous avons fait appel à société civile et aux entreprises, qui ont été un soutien majeur durant cette période.

Initialement, j'ai respecté le rôle de l'ARS. Je la prévenais lorsqu'une entreprise m'informait qu'elle avait des masques à nous donner. Un ou deux jours après, l'entreprise me rappelait pour me dire que personne n'était passé les chercher ! Je ne remets pas en cause l'engagement des personnes : l'ARS n'avait pas l'agilité nécessaire pour aller chercher les masques. Nous avons donc décidé de prendre en main la logistique, avec l'accord de l'ARS, qui nous a tout de suite soutenus. Le département du Bas-Rhin distribuait par semaine 250 000 masques à plus de 300 établissements : Ehpad, protection de l'enfance, établissements de handicap. En parallèle, en lien avec les maires et les présidents des intercommunalités, nous avons progressivement organisé une livraison de masques à la population.

Je salue, pour ce qui concerne le lien noué avec l'État durant cette crise, l'organisation d'une sphère publique territoriale portée par notre préfète, Mme Chevalier, qui a été d'une rare efficacité. Elle a fait preuve d'une écoute forte, dans le respect du rôle des collectivités locales. Le centre opérationnel départemental que nous avons conduit ensemble a montré toute sa pertinence.

Grâce à ce travail en commun, des indicateurs journaliers nous ont permis de réaliser une analyse et un tableau de bord adaptés à la situation. Parmi les propositions que je formulerai tout à l'heure, il me semble cohérent que le préfet ait un rôle de contrôle sur l'ARS ou de soutien plus fort à cette dernière, afin de permettre une action plus concrète, efficace et globale.

Nous sommes devenus une plateforme de distribution de masques. Les hôtels du département sont aujourd'hui des lieux de logistique, dans les couloirs desquels on trouve des centaines de milliers de masques. Nous avons aussi oeuvré rapidement pour organiser une filière de production. Un pôle textile Alsace s'est constitué, que nous avons accompagné. Nous avons acheté plusieurs millions de masques, ce qui a permis aux entreprises de faire évoluer leur outil de production et de passer de quelques dizaines de milliers de masques produits par semaine à près de 1 million. Cela permet non seulement de couvrir le territoire alsacien, mais également les territoires limitrophes. C'est grâce à la commande publique que l'outil de production a pu être transformé.

Nous avons ainsi distribué deux masques lavables par habitant. Le déconfinement ne devait pas être possible tant que tous les Alsaciens n'étaient pas couverts en masque : c'était à mes yeux un prérequis.

Nous avons établi en parallèle un plan de continuité des activités qui étaient nécessaires : 90 % des agents se sont retrouvés en télétravail, mais nous avons été très attentifs à rester aux côtés des personnes les plus fragiles. Nous avons mis en place des aides d'urgence : soutien aux associations caritatives, renfort de la protection maternelle et infantile, lien avec les assistantes maternelles et les assistantes familiales. Cela vaut non seulement pour le département du Bas-Rhin, mais aussi pour l'ensemble des départements.

Notre enjeu était de faire aller la chaîne de solidarité jusque chez l'habitant. Nous avons mis en place un partenariat très fort avec les communes et les acteurs associatifs ; il convient également de saluer l'engagement des entreprises. Nous avons néanmoins rencontré un écueil : nous n'avions pas le droit de communiquer aux maires les noms des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), du revenu de solidarité active (RSA) ou de la prestation de compensation du handicap (PCH). On a fini par obtenir cette permission, mais bien avant cette autorisation et au vu de l'urgence, j'ai décidé de passer outre cet interdit.

Notre engagement a été fort auprès des établissements scolaires : distribution de tablettes, mise en place d'une aide aux devoirs dans certains départements, accueil des enfants des personnels prioritaires dans les collèges, mise en place de plateformes téléphoniques.

Nous avons également mis en oeuvre des solutions hébergement en hôtel en cas de violences familiales exacerbées par le confinement.

Comme je l'ai souligné, si nous avions fait du dépistage plus tôt, nous aurions pu éviter des morts. Il a fallu beaucoup de temps pour obtenir l'autorisation de réaliser des tests. Or les 74 laboratoires des départements de France peuvent réaliser par jour 25 000 tests virologiques et 80 000 tests sérologiques. Nous avons enfin les autorisations pour les tests virologiques, mais toujours pas pour les tests sérologiques. C'est un vrai problème.

Sur le plan sanitaire, nous avons construit une capacité à protéger, à tester et à isoler. Nous sommes mieux armés pour affronter la crise si elle devait s'aggraver, comme de premiers signes inquiétants semblent l'indiquer.

Nous avons aussi travaillé sur la crise économique et sociale. Soutenir l'économie est un enjeu majeur. Pouvons-nous nous permettre, au vu de la situation économique, de perdre un partenaire ? Je pose cette question dans le cadre de la révision de la loi NOTRe. On parle beaucoup de la capacité d'agir des départements dans l'économie de proximité et de la souveraineté économique, mais la souveraineté économique aujourd'hui concerne la santé, l'alimentation, les mobilités, les énergies renouvelables, le bâtiment. À défaut d'avoir une telle souveraineté sur nos territoires, je crains que, à l'avenir, nous ne soyons en difficulté.

Quelles leçons devons-nous tirer de la crise ? Il existe un fossé entre les procédures technocratiques et administratives imposées et le cousu main attendu par nos concitoyens. C'est vrai dans cette période de crise, mais c'est vrai aussi dans le quotidien de l'action publique.

L'organisation centralisée de la santé est inadaptée dans ce type de situation, mais souvent aussi en termes de service public de santé attendu par nos concitoyens. Je constate également que le périmètre régional est trop grand. Ce n'est pas vrai partout, mais avec dix départements, c'est vrai chez nous. Certains présidents de département du Grand Est n'ont toujours pas pu rencontrer, au bout d'un an et demi, le président de l'ARS. Les délégations départementales de l'ARS n'ont aucun pouvoir. Elles ont été vidées de leur substance et on a rajouté à l'ARS centralisée des hauts fonctionnaires, qui ne sont pas capables de franchir le dernier kilomètre. Je ne remets pas en cause les capacités ni l'engagement des personnels ; il a été manifeste. Pour autant, se pose un problème concret : ils ne pourront pas prendre en charge le dernier kilomètre !

Les professionnels du soin dans le secteur médico-social et social ne sont pas suffisamment valorisés. Prendre soin de nos concitoyens et les accompagner sanitairement est un besoin primaire de chacun. Le Ségur de la santé répond partiellement à cette problématique, via une augmentation des salaires.

Quelles sont nos propositions au regard de ce constat ? Il faut redonner le pouvoir d'agir aux collectivités et à la sphère publique territoriale. Cela passe par le droit, par des moyens, mais aussi par la maîtrise de ces moyens financiers, pour agir en termes de gestion de la santé.

Le terme « Ségur » pour qualifier ce plan m'a beaucoup gêné : je l'ai personnellement appelé le plan « haute administration Ségur ». Pourquoi Ségur ? La santé doit se construire à partir des territoires et de la vie quotidienne de nos concitoyens. C'est sur le terrain que l'on doit penser le service public de la santé, au regard des besoins de chaque territoire. Dans cette perspective, les départements peuvent très bien jouer un rôle de chef de file, en lien avec le bloc local, pour mieux coordonner le sanitaire et le médico-social. Construire à partir des contrats locaux de santé une vraie stratégie autour de la santé est un enjeu majeur. Il faut également réduire le périmètre des ARS, pour garantir leur connaissance du territoire.

S'agissant des besoins en soins, il nous faut une capacité d'agilité, de décision, de réactivité à la bonne échelle. Que le préfet retrouve une autorité naturelle sur l'ARS me semble tout à fait opportun.

Dans nos réflexions territoriales, j'appelais de mes voeux, avant la crise, la mise en place de groupements hospitaliers transfrontaliers dans les territoires transfrontaliers. Si cela avait été fait, je vous assure que l'on aurait pu largement couvrir les besoins d'accueil des malades en situation d'urgence du Grand Est. Il faut donc travailler à l'échelle transfrontalière.

Le décloisonnement du médicosocial et du sanitaire me semble essentiel, et, lorsque vous examinerez la future loi autonomie, il vous faudra être attentifs à cet aspect des choses et éviter une approche séparée domicile-hébergement. Nous formulerons des propositions en ce sens.

Je conclurai sur la prise de conscience du coût du service public. La fiscalité doit retrouver son assise territoriale. Le consentement à l'impôt ne sera rétabli que si nos concitoyens peuvent faire le lien entre un service public rendu et le coût de ce service. Si nous n'y parvenons pas, alors cela ne vaut pas la peine de parler de décentralisation, de différenciation et de déconcentration, même si mêler ces trois aspects a du sens, à condition d'y mettre du contenu.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je remercie les intervenants de leurs propos liminaires.

Nous essayons ici de comprendre, pour améliorer la réponse de notre pays à une éventuelle future situation de même ordre. Depuis que nous avons entamé nos travaux, nous avons été avisés que, dès le mois de janvier, des alertes avaient été émises, ce dont nous n'avions pas connaissance. Ainsi, un directeur d'ARS nous a indiqué avoir organisé sa première réunion de crise vers le 20 janvier.

Entre le 20 janvier et le mois de mars, bien des choses ont été faites. Je salue d'ailleurs tous les acteurs qui se sont vraiment investis dans tous les domaines pour tenter d'apporter la meilleure réponse possible. Il faut regarder ce qui a bien fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné entre les différents acteurs, mais à partir du mois de mars, notre pays s'est mis en situation de lutter contre l'épidémie.

Le mois de février est un mois un peu étonnant, et j'aurais aimé avoir votre sentiment sur ce qui s'est passé au cours de ce mois. Tous les trois, vous nous avez expliqué - ce constat est largement partagé - que la répartition des responsabilités entre les acteurs pourrait être améliorée. Anne Hidalgo a dit plusieurs fois qu'il fallait dépasser le cadre ou qu'il fallait accorder de nouvelles libertés aux collectivités territoriales. François Baroin a expliqué quant à lui que la répartition actuelle des responsabilités n'était pas optimale, y compris dans le pilotage de la réponse à une crise ce type.

Nous cherchons ce que pourrait être une meilleure organisation. Entre la tribune des présidents de région, qui nous expliquent que c'est à eux qu'il faut donner des compétences supplémentaires, les maires qui expliquent que, étant au plus près des populations, ils doivent être mieux reconnus - j'entends tout à fait ce discours -, les départements, qui revendiquent une certaine compétence sur la gestion de cette crise - d'ailleurs, le Premier ministre a fait le choix du niveau départemental -, et Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé, qui, lors de son audition à l'Assemblée nationale, a livré une analyse très intéressante, expliquant que la santé devait redevenir un sujet régalien et que l'État devait s'en emparer bien plus qu'il ne le fait actuellement, on peut se demander quelle serait la bonne architecture, la répartition nouvelle des compétences en matière de santé.

J'en viens à ma dernière question. On voit bien parfois le caractère relatif de ces questions d'organisation. M. Bierry a ainsi souligné que, dans tel département, le préfet, qui, aux termes du code de la santé publique, est chargé de gérer ce type de crise, a bien travaillé avec l'ensemble de ses interlocuteurs, tandis que, dans tel autre département, il n'en a pas été de même.

Au fond, pour reprendre le constat d'une personnalité que nous avons auditionnée hier, la santé publique est-elle gouvernée dans notre pays ? Les différents acteurs institutionnels sont-ils formés à cette gouvernance ? La réponse qui a été apportée dans la région Grand Est n'a-t-elle pas été une réponse hospitalière dans un cadre de quasi-médecine de catastrophe ?

J'ai entendu citer les contrats locaux de santé, et l'on pourrait en citer d'autres : comportent-ils un plan de gestion des épidémies ? Quelle lecture faites-vous de la réponse qu'a apportée notre pays ? Était-ce vraiment une guerre, ou était-ce une crise de santé publique qui aurait nécessité que nous soyons culturellement et politiquement prêts pour l'affronter, comme d'autres pays l'étaient ?

M. Alain Milon, président. - Je reconnais bien là l'appétence intellectuelle de Bernard Jomier pour ce sujet. Dans vos réponses, vous n'êtes pas obligés de développer un programme présidentiel sur l'organisation de la santé !...

Mme Anne Hidalgo. - Je n'en avais pas l'intention !

Avant même le confinement, le premier événement auquel je suis confrontée à Paris en tant que maire, c'est le Nouvel An chinois, qui commence le samedi 25 janvier. Comme c'est la tradition, je rencontre, avec Jérôme Coumet, le maire du treizième arrondissement et toutes les associations présentes, qui sont en alerte totale. Elles nous disent qu'il faut annuler les festivités. Évidemment, nous n'avions aucune indication nous poussant à agir en ce sens, d'autant que le Nouvel An chinois dure plusieurs semaines, avec plusieurs grands défilés.

Mon cabinet prend tout de suite l'attache du ministère de la santé pour demander s'il existe des directives particulières. On nous dit que non. Les associations de ressortissants franco-chinois me disent néanmoins prendre la décision d'annuler et me demandent de les accompagner dans cette décision.

Jérôme Coumet et moi-même sommes pris totalement au dépourvu, mais nous décidons de les accompagner. À partir de ce moment, qui coïncide à peu près avec la diffusion des premières images du confinement à Wuhan, je confirme l'annulation des festivités - cela me vaut quelques remarques dans la presse sur le fait que je me mêlais de choses qui n'étaient pas de ma compétence -, décision qui vaut également pour le très grand défilé, censé avoir lieu quinze jours après dans les rues du treizième arrondissement.

Au regard des informations que nous rapportent les associations de Franco-Chinois à Paris, j'écris le 31 janvier à la ministre de la santé pour lui demander des consignes. Avec mon adjointe Anne Souyris et mon adjoint chargé des affaires scolaires Patrick Bloche, nous avons pris conscience des nombreux allers et retours de ces Franco-Chinois entre la Chine et le treizième arrondissement, d'autant que nous étions en période de vacances scolaires. C'est pourquoi j'ai proposé de mettre en place, sinon un confinement, du moins des mesures de quatorzaine de toutes les personnes revenant des zones infectées, avant qu'elles ne retrouvent le chemin de nos écoles.

Longtemps après, j'ai reçu une réponse allant dans ce sens, même si, dans un premier temps, les autorités de l'État m'ont dit que ce n'était pas nécessaire à ce stade, compte tenu des connaissances que l'on avait alors sur ce virus.

Pour autant, nous avons mis en place au début de février ce dispositif, aux termes duquel tout enfant qui revenait de Chine ou qui avait côtoyé quelqu'un revenant notamment de ce pays passait quatorze jours chez lui avant de revenir en classe.

Dès le 3 février, nous installions à l'hôtel de ville une cellule de veille, puis une cellule de crise, qui se réunissait quotidiennement. Chacune des directions établissait un rapport, tandis que nous associons les maires d'arrondissement pour suivre l'évolution de la situation. J'étais aussi quotidiennement en lien avec Martin Hirsch pour mesurer les capacités d'accueil des hôpitaux. En effet, nous nous inquiétions d'un possible manque de lits et de personnel.

Le mois de février n'aura donc pas été pour moi un mois de confinement, mais un mois d'hyperactivité, pour préparer, gérer et anticiper ce qui allait peut-être se passer.

J'ai pris également l'attache, par mes contacts internationaux, d'un certain nombre d'acteurs qui avaient une connaissance du terrain. Je me suis entretenue longuement avec Philippe Klein, médecin généraliste français qui a vécu toute l'épidémie à Wuhan. Il me dit alors très clairement que ce qui se passe dans cette ville risque de se passer chez nous, qu'il est essentiel de disposer de masques, de faire des tests et que l'on peut alors s'en sortir avec un confinement court de quinze jours.

Telles sont les informations dont je disposais avant le confinement et au moment où le confinement entre en vigueur.

J'ai échangé aussi beaucoup avec mes collègues étrangers. Je pense à mes collègues italiens - nous participons au même réseau de villes -, en particulier le maire de Milan ; je pense au maire de Séoul, qui vient malheureusement de décéder, qui a une expérience particulière dans la gestion de cette crise, d'autant que la Corée, qui a une autre culture et une autre approche que la nôtre, n'a pas eu recours au confinement, mais a utilisé de façon massive les masques et les tests.

Je me suis donc nourrie de ces situations, tout en me demandant - nous sommes en février - comment se traduirait un confinement dans une ville comme Paris, compte tenu de sa densité et de son niveau d'activité.

Faut-il revoir la copie en matière de gouvernance de la santé publique ? Oui, complètement. Heureusement, l'hôpital a tenu, grâce au personnel hospitalier, grâce à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui se sont battus pour sauver des vies. Je leur dis évidemment mon admiration et ma reconnaissance.

L'autre versant, c'est la médecine de ville, ce sont les centres de santé. Et l'on s'est aperçu très vite que les personnes les plus vulnérables étaient bien sûr les plus âgées et les plus fragiles, mais que cette épidémie - c'est sa dimension sociale - frappait ceux qui vivaient dans des appartements trop petits et ceux qui n'avaient pas de médecin traitant. Dans des quartiers entiers de Paris, notamment dans le dix-neuvième arrondissement, une très large part de la population n'a pas de médecin traitant.

Nous avons essayé d'agir avec les acteurs locaux, en profitant de notre expérience, à laquelle Bernard Jomier a d'ailleurs beaucoup contribué lorsqu'il était adjoint à la santé. Anne Souyris, qui lui a succédé, a veillé à établir un lien permanent entre les populations, la médecine de ville, les infirmières libérales, les centres de santé et l'hôpital.

La leçon que je tire pour ce qui concerne la gouvernance, c'est qu'il faudrait créer une direction de la santé publique à Paris, en lien avec l'AP-HP, justement parce que je veux une structure qui ne soit pas sans lien avec l'hôpital, mais qui ne soit pas non plus dans l'hôpital, afin de ne pas se couper de tout ce qu'apporte un maire dans son travail auprès des populations et des autres acteurs.

Notre expérience dans la lutte contre le SIDA nous a servis. Notre stratégie « Paris sans SIDA » se fonde sur une approche communautaire, c'est-à-dire que nous nous intéressons aux populations cibles auxquelles il faut délivrer des messages différents selon leur nature. En adoptant cette stratégie avec les associations, avec la médecine de ville, avec des spécialistes, avec l'hôpital, avec les services sociaux de la ville, nous avons réussi pour la première fois l'année dernière à réduire de 16 % à Paris le nombre de contaminations par le SIDA chez les hommes ayant des rapports avec des hommes, ce qui n'était jamais arrivé. Forts de cette expérience, nous nous sommes dit qu'il fallait une direction de la santé publique déconcentrée, qui ne soit pas à l'échelle uniquement de la mairie de Paris.

Je ne sais pas s'il s'agit d'une guerre, mais, en tout cas, c'est dans la proximité que la gestion doit se faire. C'est en connaissant le terrain que l'on a justement cette capacité à apporter des réponses et à coordonner les acteurs, lesquels, partageant ce qu'ils ont vu, peuvent proposer des solutions évidentes.

Dans les Ehpad, on a bien vu que si l'on ne testait que les personnels symptomatiques, on n'allait pas s'en sortir, parce qu'une partie des contaminations étaient le fait de personnes asymptomatiques continuant à travailler. C'est pourquoi nous nous sommes battus pour que des tests soient réalisés sur ces personnes, afin de casser les chaînes de transmission de la maladie.

Il faut donc partager, dans la proximité, ce que l'on observe sur le territoire ; c'est possible, car les acteurs à l'échelle du territoire sont connectés entre eux. J'ai beaucoup appris notamment de la gestion des attentats de 2015 : il faut évidemment une unité de commandement ; il faut évidemment que le préfet, en l'occurrence à Paris le préfet de police, prenne la main de cette unité de commandement ; il faut évidemment que chacun travaille dans le respect des fonctions et des responsabilités des uns et des autres et dans la confiance.

Il est vrai que, pour nous, à Paris, le réflexe consistant à se mettre immédiatement en mode de gestion de crise, dans le respect des fonctions de chacun et dans l'écoute des uns et des autres, change la donne.

Il faut aller vers cette proximité, et l'on ne peut pas s'en tenir à une simple réorganisation de la gouvernance des grands hôpitaux ou du ministère de la santé, sans déconcentration, sans connexion avec les maires et les acteurs de chacun des territoires, dont les départements.

Je rejoins tout à fait ce qui a été dit : c'est nécessaire pour que nos concitoyens sachent ce qu'est le service public. Ce n'est pas uniquement en temps de crise que nous devons travailler ainsi ; c'est de façon quotidienne et permanente.

M. François Baroin. - Après les propos d'Anne Hidalgo sur le rôle et la place des soignants, je veux dire que l'on ne manquera jamais une occasion de leur rendre un hommage extraordinaire. Le 14 juillet, de nombreuses communes françaises ont pris l'initiative de prendre en photo des infirmières et des médecins et de les afficher dans les rues. Faute de feux d'artifice, la tonalité de fête nationale était moins présente, mais elle a été remplacée par une fête de reconnaissance nationale de nos soignants, qui, au front, ont été courageux, solidaires et remarquables. Je veux le dire d'entrée, puisque vous abordez cette question de la politique publique de santé.

J'indique également que je n'égrainerai pas un quelconque programme présidentiel ; je livrerai simplement quelques réflexions sur deux sujets complètement différents, qui sont le fruit de mon expérience en tant que président de conseil d'administration, président d'hôpital et maire depuis vingt-cinq ans - maire parmi d'autres, qui a beaucoup échangé au cours de cette crise, par exemple avec Anne Hidalgo. Même si la situation parisienne est différente, ce que cette dernière a mis en place dans sa ville a nourri notre réflexion sur la manière dont ces actions pouvaient être déclinées à l'échelle territoriale.

Le ministère de la santé produit des normes et gère des objectifs nationaux de dépenses d'assurance maladie. Une fois encore, je ne fais aucun procès aux personnes qui y travaillent ou qui oeuvrent dans les agences régionales de santé ; qu'elles soient biologistes, pharmaciens ou hauts fonctionnaires, elles sont au service de la santé publique, et ce n'est pas leur bonne volonté qui est en cause. Mais leur mission, c'est de produire des normes, de générer des flux administratifs et de gérer les contraintes budgétaires, plus ou moins dans le cadre de l'Ondam, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, qui est fixé chaque année par le Parlement. De fait, le ministère de la santé n'est pas un ministère de la logistique.

Pour répondre à la question du calendrier, globalement, les premières alertes sont venues d'Italie. Certes, tout le monde savait ce qui se passait en Chine, mais ce pays apparaissait comme assez lointain. La présence d'une diaspora chinoise à Paris a constitué un premier élément de compréhension pour les élus territoriaux, mais Paris, c'est assez loin aussi, pour beaucoup de communes. Cette distance et cet éloignement ont probablement donné le sentiment à certains qu'ils étaient protégés et préservés pour un certain temps encore.

La première réunion officielle a eu lieu le 27 février à Matignon, où le Premier ministre d'alors a réuni les forces politiques. Nous avons demandé que les associations d'élus soient associées à cette réunion, parce qu'il nous paraissait important de savoir ce qui allait se mettre en place.

Je rappelle que nous étions alors en campagne électorale et que le port du masque suscitait des débats contradictoires, tout comme les normes auxquelles il devait répondre.

Ensuite, nous avons mené de très nombreux échanges par vidéoconférence avec tous les ministres qui voulaient recueillir les points de vue des uns et des autres et transmettre des informations. Ont été abordées des questions aussi techniques et concrètes que la protection des zones de captage de l'eau potable, avec les risques liés à l'épandage, le soutien au bâtiment pendant la période de confinement qui arrivait et dont on percevait bien les conséquences économiques et sociales, la protection environnementale, la sécurité, les ordures ménagères - bref tout ce qui fait le quotidien d'un maire.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - L'épisode des Contamines-Monjoie s'est déroulé avant le 27 février, n'est-ce pas ?

M. François Baroin. - Sûrement bien avant ! Une fois encore, la santé est une responsabilité régalienne. Nous n'avions jamais été confrontés à une telle situation. Les actes terroristes barbares qui ont touché Paris ont donné lieu à la mise en place d'un mode de gestion de crise sous l'autorité conjointe du maire de Paris et du préfet de police. Pour le public, c'est l'État, et ce qu'a dit Anne Hidalgo correspond à ce qu'est l'état d'esprit de tous les maires de France.

En tant qu'élus, nous sommes pleinement conscients de notre qualité de représentant de l'État au service de l'État pour un certain nombre de nos missions. En temps de paix, tous les jours, nous sommes des agents de l'État, pour les actes d'état civil, la célébration des mariages, l'enregistrement des décès, etc. Bref, nous sommes vraiment les accompagnateurs de la vie quotidienne. En revanche, nous n'avons pas de responsabilités en matière de santé publique, ces questions relevant de la responsabilité de l'État, à qui nous faisons confiance, alors que, je le répète, nous n'avions jamais connu une épidémie de cette nature.

Nous faisions confiance le plus longtemps possible - je le dis franchement -, jusqu'à ce que nous constations ce problème avec les masques. Et c'est à ce moment-là que nous sommes intervenus pour dire, dans l'esprit de responsabilité qui est le nôtre, que cela ne marchait pas et que nous ne savions pas quoi faire.

La différence entre les villes tient aux mouvements de population que l'on y observe : dans certaines d'entre elles, les partages, les échanges et les déplacements sont plus nombreux, y compris avec l'étranger ; dans d'autres, moins densément peuplées que certaines zones urbaines et métropolitaines et a fortiori que Paris, la gestion du quotidien est de nature quelque peu différente.

Toujours est-il que nous sommes dans une logique de confiance avec le préfet et le directeur de l'agence régionale de santé, que nous connaissons plus ou moins. Nous faisons confiance à l'État, qui a la main sur la santé.

Après ce qui s'est passé, il va falloir prendre conscience que le statu quo n'est pas possible. Il faut une autre organisation des pouvoirs publics et il faut en tirer les conséquences en matière de santé.

Les maires de France ont fait part de leurs réflexions à la suite du drame qu'a été cette épidémie. Il faut changer le mode de gouvernance des hôpitaux : les maires souhaitent être à la tête d'un conseil d'administration, et non pas d'un conseil de gouvernance. Administrer, c'est gérer ; être dans la gouvernance, comme je l'ai dit, c'est être comme un aimable bibelot posé sur une cheminée. Ce n'est pas inutile, un bibelot, mais ce n'est pas être au coeur de la situation.

Les maires souhaitent donc être des acteurs du rapprochement entre le public et le privé. Il n'y a probablement qu'eux qui puissent le faire. Il est stupéfiant de constater que, dans certaines parties du territoire, des hôpitaux se trouvaient à la limite de la saturation, tandis que les lits de certaines cliniques privées restaient libres. Cette hypertrophie bureaucratique, technocratique et ultracentralisatrice n'est plus possible, de même que la logique selon laquelle la santé, c'est l'hôpital public, tandis que tout le reste, c'est pour faire de l'argent.

Ce que nous souhaitons tous, notamment les maires, c'est tout simplement que les gens soient soignés, même en l'absence de CHU. Avec l'évolution de la démographie médicale et la raréfaction du nombre de médecins dans nos territoires, compte tenu également du fait que les internes ne se fixent pas sur les territoires et que les gens du public et du privé ne se parlent pas, des tensions peuvent rapidement survenir en matière de santé. Or l'offre de soins est aujourd'hui un facteur d'attractivité d'un territoire.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle des communes créent des postes de maire adjoint à la santé. Cela ne relève pas de leur compétence à l'heure où nous parlons, mais c'est une préoccupation des citoyens, au même titre que la qualité des services publics de proximité, le développement de l'enseignement supérieur, l'amélioration des infrastructures, le soutien au développement économique, les investissements, la protection, la préservation et la création d'emplois. Pour avoir une bonne qualité de soins, il faut un rapprochement public- privé, mais on ne peut pas compter sur l'État pour le faire : on l'a vu encore avec le Ségur.

Je le dis franchement, je suis stupéfait par l'organisation du Ségur, dont l'appellation est à l'opposé de l'esprit de décentralisation. Très peu d'élus au-delà du périphérique, et même sans doute en deçà, savent ce que c'est que l'avenue de Ségur... La participation des élus se résume à un rendez-vous à distance avec leurs associations, et puis plus rien ! Les maires souhaitent au contraire un changement de gouvernance ; ils souhaitent être au coeur de la gouvernance et se faire des acteurs du rapprochement public-privé. Les contrats locaux de santé vont dans le bon sens ; il faut les généraliser. Les maires souhaitent même aller plus loin, en investissant. Ils le font, mais avec des véhicules juridiques qui ne sont pas suffisamment stabilisés.

Prenons l'exemple d'un centre hospitalier qui n'est pas un Centre hospitalier universitaire (CHU), mais qui reçoit des internes pour 3, 4 ou 6 mois. Comme leur séjour est plus court, on a plus de mal à les fixer : si le doyen de la faculté de médecine joue le jeu de la territorialisation régionale, cela fonctionne, mais s'il applique la dernière loi qui affecte en priorité les internes auprès des CHU et non pas dans les territoires, cela ne va pas - je suis désolé, je suis contribuable, et les contribuables ne paient pas des impôts pour former des médecins au service de quelques territoires ou d'un CHU, mais pour tout le monde. Nombre de communes ont ainsi investi avec les bailleurs sociaux pour rénover des logements des internes, alors que cela relève de la responsabilité de l'hôpital - mais ce n'est pas sa priorité, et il n'en a plus les moyens.

Certaines collectivités, dans un cadre légal incertain, ont investi dans des plateaux techniques ou des machines. Certains départements voudraient investir sur des machines à tests, mais nous avons un mal fou à trouver la solution juridique pour le faire. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer que les collectivités participent à la revalorisation des salaires pour rendre les postes chez eux attractifs ? Bien des collectivités, considérant que la santé est une priorité, voudront consacrer des crédits à cet enjeu en investissement, pour aider l'hôpital à se développer et, pourquoi pas, en fonctionnement, avec les rémunérations.

Pour répondre à votre question sur le médico-social, je crois qu'il faut tout donner au département. Tout aurait été beaucoup plus simple et plus fluide si le conseil départemental avait eu l'autorité pleine et entière sur la totalité de la filière médico-sociale. Quant à la santé, vous ne trouverez pas un élu en France pour vous dire que l'État ne doit pas être compétent en cette matière. C'est une mission régalienne, et il n'est pas concevable une seconde que l'État ne soit pas le coordonnateur d'une politique publique de prévention et n'ait pas le dernier mot sur des décisions aussi lourdes qu'un confinement. On l'a bien vu, cela a nécessité un état d'urgence sanitaire que les parlementaires ont voté, avec un cadre exorbitant du droit commun - en clair, les pleins pouvoirs sanitaires donnés à l'exécutif.

Le confinement était bien entendu nécessaire chez nous, dans le Grand Est, en Île-de-France et dans le Nord. Mais c'est moins sûr au regard de la situation que connaissait la Nouvelle-Aquitaine ou la Bretagne jusqu'à une période récente. En Allemagne, ce sont les Länder qui ont le dernier mot en matière de santé, et leur politique a été plus appropriée à l'évolution de la maladie : une politique de tests beaucoup plus massive que la nôtre et une politique de protection liée aux barrières sanitaires beaucoup plus importante, mais aussi une organisation de la protection des populations plus souple. Je ne serais donc pas choqué qu'une partie de la question de la santé publique soit gérée par les régions dans une logique de proximité avec les maires et les intercommunalités. Cela se passerait sous l'autorité de l'État lorsqu'il s'agit de problématiques d'ordre public et à l'intérieur d'un cadre général de bonnes pratiques défini par l'État en lien avec l'OMS, qui dit ce qu'il faut faire et dans quel calendrier.

M. Frédéric Bierry. - Pour répondre à la première question, nous n'avions pas d'informations claires qui nous incitaient à mener une action particulière. C'est le cluster mulhousien qui m'a fait penser qu'il fallait faire quelque chose, d'abord pour protéger les aînés. Ce n'est qu'à partir du début du mois de mars que nous avons commencé à agir.

Quant à votre deuxième question, je crois qu'il faut ramener l'action publique à l'échelle humaine. Il est normal que l'État fixe un cap, des objectifs, que l'État soit stratège, garant d'une équité sanitaire sur le territoire, mais l'enjeu opérationnel et l'enjeu humain sont fondamentaux. Nous aimons bien, dans notre pays, répartir les compétences entre uns et les autres. Mais c'est dans une démarche globale que nous devons appréhender le besoin de services publics.

Au lieu de parler d'organisation, il faut parler de service public : comment organise-t-on un service public intégré et adapté aux besoins des habitants de chaque bassin de vie ? Pour répondre, à cette question, il n'y a pas de modèle unique. Il faut aller au-delà des organisations et des compétences : nos concitoyens attendent de nous le soin nécessaire à nos aînés, une offre hospitalière de proximité, une meilleure articulation entre le social, le médico- social et le sanitaire, notamment pour faire de la prévention. Je ne puis donc qu'abonder dans le sens du président Baroin quand il propose que le département soit le chef de file de l'action sociale, médico-sociale et sanitaire. Il faut aller au bout des précédents actes de décentralisation, qui sont restés dans ce domaine au milieu du gué.

En ce qui concerne l'enjeu sanitaire, nous aurons néanmoins besoin des communes en matière d'offre hospitalière. C'est un partenariat qui existe en Allemagne, où les villes, les Kreise et les Länder travaillent en bonne intelligence, ce qui a permis de réduire les coûts administratifs qui n'apportent aucune valeur ajoutée, mais au contraire pénalisent le quotidien des acteurs de la santé. C'est grâce à cela qu'il y a trois fois plus d'IRM pour 100 000 habitants en Allemagne qu'en France, qu'il n'y a pas eu de pénurie de respirateurs et qu'il y a eu beaucoup moins de problèmes d'accueil en urgence.

Si nous avions pu préparer une offre de santé transfrontalière, on aurait pu s'éviter beaucoup de problèmes. Nous avons d'ailleurs proposé à l'ancien Premier ministre que la future Collectivité européenne d'Alsace puisse bénéficier d'une délégation des compétences de l'ARS, qu'elle puisse montrer son savoir-faire. Si cela fonctionne, on pourrait étendre cette délégation, et sinon, revenir en arrière - c'est cela aussi la différenciation !

Il y a le service public de santé, mais il y a aussi l'économie de la santé. Cette épreuve nous a fait nous rendre compte que nous n'avions pas la capacité productive des médicaments nécessaires à nos concitoyens. Comme tout le monde, j'ai voulu acheter de la chloroquine. J'ai appelé Novartis : je croyais qu'il pourrait me fournir, l'espace rhénan, auquel nous appartenons, étant à l'origine de 40 % de la production pharmaceutique mondiale. Dans les faits, je me suis rendu compte que cela concernait le bout de la chaîne et qu'il manquait les fondamentaux pour avoir le médicament. Je suis un béotien en matière de santé, contrairement à certains d'entre vous. L'économie de la santé doit être un élément majeur à intégrer dans les politiques de santé.

Mme Catherine Deroche, rapporteur. - Les questions de chronologie évoquées par Bernard Jomier sont majeures. Depuis le début du mois de mars, tout le monde a eu recours au système D pour essayer de répondre aux besoins - je voudrais à ce titre saluer l'action des départements et des maires. La semaine dernière, l'audition du maire de Crépy-en-Valois a montré combien cela avait été douloureux dans les territoires comme le vôtre, où l'impact de la pandémie, notamment la mortalité, a été très fort. La commission d'enquête aurait besoin de disposer de tous les échanges que vous avez pu avoir à partir du moment où l'on a su qu'il y avait des cas en Chine ou aux Contamines.

Le professeur Fontanet la semaine dernière se posait cette question : comment se fait-il que de tels événements aient lieu sur le territoire, avec des remontées de terrain - Jean Rottner nous a bien dit qu'il avait fait remonter les informations directement du Grand Est à l'Élysée - et que, en même temps, le 6 mars, on nous dise de sortir, d'aller au cinéma, au théâtre, au restaurant ? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu de prise de conscience au niveau national, alors que, dès le 8 mars à 10 heures, le président portugais disait à ses concitoyens de rester chez eux ? Il y a quand même quelque chose qui s'est passé à ce moment-là que l'on aimerait bien comprendre. Ce que nous a dit le professeur Fontanet, c'est que, s'il y avait des cas isolés, cela ne signifiait pas pour les épidémiologistes que le virus circulait de façon très active. Nous y reviendrons à l'issue des dernières auditions et nous entendrons bien évidemment les pays étrangers, de l'Allemagne aux pays asiatiques, qui ont obtenu des résultats différents des nôtres.

Madame Hidalgo, vous avez évoqué l'idée d'une organisation autour de l'AP-HP, des médecins de ville et autres. Comment intégrez-vous les hôpitaux hors AP-HP, où un patient sur deux a été hospitalisé ? Concernant la disparition de la double tutelle, que vous avez évoquée, la présidente de l'Oise, que nous entendions la semaine dernière, n'est pas allée jusqu'à nous dire clairement que le département devait détenir la tutelle exclusive...

Monsieur Baroin, comment échangez-vous avec l'ensemble des maires en cette période où l'épidémie n'est pas terminée, avec des frémissements dans certains départements comme la Mayenne ou en Bretagne ? Passez-vous par les associations départementales ? Vous, communes, départements, Ville de Paris, vous sentez-vous prêt à faire face si jamais l'épidémie reprenait ? Disposeriez-vous de suffisamment d'équipements comme les tests, dont le manque a joué un rôle majeur dans le retard que nous avons pris au début de la crise ?

Mme Anne Hidalgo. - Le lien avec l'AP-HP est très important à Paris ; il est historique. Il est évidemment important que les élus de la ville et le principal hôpital public travaillent ensemble. L'idée n'est pas de mettre de côté tous les autres - médecine de ville, hôpitaux qui ne relèvent pas de l'AP-HP, cliniques -, qui sont évidemment des acteurs de santé extrêmement importants. Notre idée est de travailler en lien avec l'AP-HP à la création d'une direction de la santé publique ; cela lui permettrait de sortir d'une organisation qui, avec les regroupements hospitaliers, a éloigné la décision du terrain. Les patients d'un hôpital s'y rendent parce qu'il est près de chez eux, même s'il joue aussi un rôle de grande plateforme à l'échelle nationale, voire internationale. Il s'agit non pas de recréer des fractures, des barrières comme celles qui nous ont perturbés dans la gestion de cette crise, mais d'apporter de la proximité et de la déconcentration à partir des maires d'arrondissements, que je doterai, sans qu'il soit nécessaire de modifier la loi PML, de compétences dans ce domaine.

Sommes-nous prêts ? Évidemment, nous surveillons de près l'évolution des contaminations. À Paris, le taux de reproduction est aujourd'hui de 1,26 ; pour rappel, un taux de 1,5 vous fait basculer en zone orange. Les 20-40 ans sont les plus touchés. Il n'y a pas d'augmentation des hospitalisations, mais il y a une augmentation du nombre d'appels du SAMU vers les hôpitaux de 60 % dans les dernières semaines. Le nombre de cas, 1618, a augmenté de 64 % par rapport à la semaine précédente. Nous pourrions donc enclencher une action plus importante sur les masques et les tests, seules façons d'éviter un confinement et de poursuivre une vie économique, sociale et culturelle.

J'ajouterai juste un dernier mot : pendant toute cette période, je n'ai cessé d'entendre parler de doctrine : « Ce n'est pas la doctrine sur les masques », « Ce n'est pas la doctrine sur les tests ». Il m'est arrivé quotidiennement, lors des réunions avec les autorités de l'État, de dire : par définition, une doctrine n'a rien de divin ; si elle est inefficace et inadaptée, il suffit de décider collectivement d'en changer. Il faut interroger cette façon d'agir du ministère de la Santé, qui, malgré des gens très compétents et très performants, a laissé en permanence cette « doctrine » s'inviter dans nos réunions, où l'on nous répondait qu'il ne fallait pas donner de masques, même à nos agents mobilisés dans les plans de continuité d'activité... Je suis passé outre au bout d'un moment.

Même chose sur les tests : ce n'était pas la doctrine de tester des gens asymptomatiques. Je ne suis pas médecin, ce n'est pas mon champ de compétences, mais en examinant ce qui se passait, je me suis dit que si l'on empêche quelqu'un qui est positif au covid de rencontrer une personne fragile, cela coupe une chaîne de contamination... Sur ce genre de sujets, il faut évidemment une égalité de tous nos concitoyens sur tout le territoire, mais il faut éviter de prendre des décisions qui produisent plus de chaos qu'il n'y en a déjà.

M. Frédéric Bierry. - Il faudrait effectivement éviter la double habilitation qui constitue une lourdeur administrative, un temps perdu que l'on pourrait consacrer à l'humain. L'ADF a pris en assemblée générale une délibération pour porter l'attention à nos aînés auprès du Gouvernement, dans le cas de la future loi relative à l'autonomie.

Pendant la crise, j'ai pu interroger les services sanitaires de Taïwan, où il y a eu très peu de décès. Ayant souffert du SRAS, ils avaient bien analysé la manière d'éviter la propagation des virus et pratiquaient donc les masques et les tests. Je me suis tout simplement inspiré de leur travail. Avec l'ensemble des départements, nous souhaitons consacrer notre action aux masques, aux tests, au gel et aux capacités à isoler les personnes. Avec l'augmentation relative des cas aujourd'hui, j'ai décidé de tester à nouveau tous les Ehpad, en particulier ceux qui n'ont pas été touchés. Nous pourrions redéployer davantage de tests si nous constations que le covid se répand davantage.

M. François Baroin. - Les maires sont très attentifs. On ne peut pas dire qu'ils soient inquiets, mais ils sont préoccupés. Ils sont attentifs à ce qui se passe en Bretagne et en Mayenne. Dans les régions limitrophes de l'Île-de-France, c'est-à-dire la deuxième couronne du grand bassin parisien, une augmentation pourrait toucher des régions qui ont déjà été très touchées, du Nord et de la Picardie jusqu'au sud de l'Alsace, en franchissant Champagne-Ardenne et Lorraine. On pourrait penser que ces zones sont plus protégées, ayant été plus touchées, mais ce n'est pas garanti.

Nombre de maires mettent en place depuis une semaine des dispositifs de tests gratuits dans les quartiers au plus près des populations. Ce qui est impressionnant, c'est que la peur, qui était réelle au début, retrouve aujourd'hui un élan indiscutable : en témoigne le nombre de personnes qui acceptent par 30 degrés en fin de matinée d'être dans une file d'attente de 150 à 200 personnes à deux mètres de distance pour pouvoir être testées, parce qu'elles ont peur pour elles et pour les autres. Les tests seront fondamentaux au mois d'août et à la rentrée scolaire. Notre intime conviction est qu'il faut les généraliser beaucoup plus, sur tout le territoire et pendant tout l'été.

Objectivement, il y a une forme d'indécence à considérer qu'il y aurait un surstockage de masques. On a trop payé pour savoir ce que voulait dire ne pas avoir de stock ! Je ne suis pas sûr que toutes les communes puissent avoir des stocks pour dix semaines, mais je pense qu'elles ont toutes au moins pour quatre à cinq semaines de protection pour leurs agents et une partie des opérateurs qui dépendent du périmètre de la sphère municipale ou intercommunale. Il est aujourd'hui communément accepté que chaque Français possède son masque et peut en avoir d'autres, ce qui fait une grande différence entre une éventuelle deuxième vague et ce que nous avons vécu à l'occasion de la première. La question n'est plus l'accès, mais la gratuité, qui a la faveur de quelques élus. Il y a beaucoup de publics fragiles pour qui le prix n'est pas rien et qu'il faudra accompagner en cas de reprise. Le stockage du gel consomme beaucoup d'espace. Comme la production est plus facile, ou du moins existe en France, les maires peuvent partager et échanger. Ils veulent beaucoup plus de tests et se préparent à une deuxième vague.

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure. - Dans votre propos liminaire, Madame Hidalgo, vous avez fait état d'une solidarité, d'une synergie avec les acteurs concernés, notamment l'État territorial. Mais je reviens sur un point qui a fait débat. Vous avez dit dans un média : « Quand je comprends que le Gouvernement ne rouvre pas les parcs et les jardins, je suis atterrée. Cette décision est d'une débilité inouïe. C'est la décision la plus bureaucratique et jacobine qui soit : les Parisiens s'entassent sur des bouts de trottoir et nos aînés n'ont nulle part où marcher. Je ne lâche pas le morceau, parce que cette décision, c'est de la maltraitance. »

Madame la maire, comment expliquer ce clash au milieu de la belle synergie que l'on ressent effectivement dans les auditions concernant l'Île-de-France ? Pourquoi cette décision qui a eu effectivement un impact majeur ? Vous avez parlé aussi de la question de la réouverture des écoles. Peut-être y a-t-il eu d'autres clashs ?

Mme Anne Hidalgo. - Il est vrai qu'il y a eu, à Paris et plus largement en Île-de-France, une coopération, une confiance, une entente entre les différents protagonistes : préfet de police, préfet de région, ARS, directeur général de l'AP-HP et moi-même. Même s'ils étaient soumis à une obligation de réserve, ils partageaient mon opinion sur les parcs et jardins, interdits aux Parisiens alors que ceux-ci, confinés dans des appartements très petits, avaient été exemplaires. J'avais pourtant proposé un protocole - port du masque, gel, jauge maximale pour éviter la surpopulation - que tout le monde semblait trouver pertinent et adapté.

C'était sans compter la fameuse doctrine : c'est comme cela qu'on distingue une zone rouge d'une zone non rouge, m'a-t-on répondu. Cela n'avait pourtant pas le même sens à Paris ou dans une région où les gens ont des jardins. J'ai cru, lors d'une vidéoconférence à laquelle participait François Baroin, que je réussirais à convaincre le Président de la République et les ministres. Quelle n'a pas été ma stupeur lorsque j'ai entendu le ministre de l'intérieur nous dire qu'il s'était rendu sur la pelouse des Invalides - où précisément il était impossible de contingenter le nombre de personnes ou de rendre le port du masque obligatoire, comme nous proposions de le faire - et que ce spectacle l'avait convaincu de refuser. Les bras m'en sont tombés. Je le redis ici : c'est la décision la plus débile et la plus bureaucratique que j'ai eue à connaître, et celle-ci, je n'ai pas pu la contourner.

M. Frédéric Bierry. - Pendant le déconfinement, l'État a fait semblant de territorialiser : cela n'a eu pour effet que de stigmatiser les zones rouges, sans réelle différenciation. Je l'avais dit à Édouard Philippe : faites confiance à la sphère publique territoriale à l'échelle départementale. Lorsque l'on parle de périmètres régionaux, il y a des endroits où c'est tout à fait cohérent, comme en Bretagne ou en Normandie, mais lorsque la région comporte dix départements comme le Grand Est, cela n'a plus de sens : la situation dans la Marne n'a rien à voir avec celle de l'Alsace. À l'époque, j'avais demandé huit jours de plus pour déconfiner, car, dans ce laps de temps, j'avais la possibilité de fournir des masques à tous les habitants, mais cela n'a pas du tout été pris en considération.

M. François Baroin. - Il y a eu beaucoup d'échanges, beaucoup de communications, beaucoup de vidéos, beaucoup de coups de fil : sur ce plan, on ne peut pas se plaindre. Même lorsque j'étais membre du Gouvernement, je n'ai pas parlé avec autant de ministres que pendant le confinement ! Mais cela n'a pas empêché un mur d'incompréhension. Ce n'est pas personnel, c'est culturel : la « doctrine » qu'évoque Anne Hidalgo est l'expression d'un État ultra-centralisé, malgré la bonne volonté des acteurs.

Le chef de l'État, le Premier ministre de l'époque, les membres du Gouvernement ont fait ce qu'ils pouvaient : ils ont eu à affronter une situation beaucoup plus difficile que tout ce que les gouvernements précédents ont eu à gérer, y compris sous Nicolas Sarkozy avec la crise financière. Je me suis battu comme président de l'AMF, Anne Hidalgo s'en souvient, pour demander que les hôtels de ville soient les centres logistiques où l'on aurait concentré les masques pour les affecter et en assurer la distribution ; nous avions les agents techniques que les ARS n'avaient pas, nous avions les moyens que les hôpitaux n'avaient pas, nous avions la possibilité de payer « au cul du camion », ce que l'État ne pouvait pas, nous avions la possibilité d'envoyer les agents à Vatry ou ailleurs. Tout ce dispositif, nous l'avons mis à la disposition de l'État, qui a refusé parce que « ce n'était pas la doctrine ». La bureaucratisation et la centralisation de l'État ont été l'une des causes des grandes difficultés que nous avons observées sur certains territoires.

Mme Michelle Meunier. - Je vous remercie de la clarté de vos propos. Vous avez parlé des Ehpad, mais trois quarts des personnes âgées de plus de 80 ans vivent à domicile, parfois très isolées ; cela a montré tout l'intérêt des centres communaux d'action sociale, qui sont devenus un peu plus visibles dans le secteur de l'aide sociale.

Le secteur de l'aide à domicile a été le grand oublié dans la distribution des équipements de protections, qu'il a attendus jusqu'à quatre, voire cinq semaines. Bien sûr, la débrouille, le dépannage et la solidarité ont fonctionné. Mais comment aurait-on pu améliorer cette distribution ?

Monsieur Baroin, vous avez parlé de rentrée scolaire. Je ne reviens pas sur la discontinuité des réponses faites aux familles d'enfants porteurs de handicaps. Février et mars sont habituellement des périodes de réorientation et d'orientation pour ces enfants auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Avez-vous des retours sur l'état d'avancement de ces dossiers en comparaison avec les années passées, compte tenu des incertitudes qui pèsent encore sur la rentrée scolaire ?

M. Roger Karoutchi. - D'audition en audition, nous cernons bien les problèmes. L'organisation optimale que vous préconisez nécessite une nouvelle loi de décentralisation. Mais, si la pandémie rebondit en octobre, nous n'aurons pas le temps de voter une telle loi. Vos interlocuteurs ont-ils changé leur manière de fonctionner ? Même sans nouveau texte législatif, peut-on espérer une meilleure organisation et plus de capacité d'action pour les maires ? Dans mon département des Hauts-de-Seine, ce sont les mairies qui ont fait le travail et, aujourd'hui, ce sont elles qui font des stocks comme elles le peuvent.

La pandémie reviendra, si l'on en croit Olivier Véran, qui a déclaré ce matin que nous n'en étions pas encore à la deuxième vague - pas encore ! Si la contamination touche essentiellement des jeunes, sommes-nous réellement sûrs de prendre toutes les mesures qui s'imposent ? J'entends ainsi le ministre du commerce extérieur annoncer la réouverture des foires et salons. Nous avons étendu les terrasses, et c'était nécessaire parce que nos restaurateurs sont sur la paille. Elles étaient censées respecter des règles, mais allez en inspecter une ou deux : il n'y a plus de distanciation, plus de masques, et les gens s'agglutinent. Finalement, à trop vouloir respirer pendant l'été et à considérer davantage l'économique que le sanitaire, ne prenons-nous pas le risque d'un rebond incontrôlé en septembre ou octobre ?

Mme Annie Guillemot. - Vous avez beaucoup parlé du préfet, de l'ARS, mais personne n'a parlé de l'agence Santé publique France. C'est récurrent dans toutes les auditions, et il faudrait en tirer les conséquences. Dans la région lyonnaise, l'ARS disait que les masques avaient été envoyés par Santé publique France, mais dans le Maine-et-Loire... Certes, nous avons tous eu ces problèmes, sauf à Paris. Vous avez parlé de la confiance vis-à-vis de nos concitoyens. Mais quand Philippe Laurent est attaqué par le préfet, cela ne la renforce pas.

J'ai été chargée d'une mission sur le logement et l'hébergement avec Dominique Estrosi-Sassone ; les acteurs de l'hébergement d'urgence ont été pris de sidération : ils n'avaient aucun masque, alors qu'ils sont missionnés par l'État, et ils ne pouvaient pas prendre en charge des gens dans leurs foyers. Je ne sais pas s'ils sont prêts à affronter une deuxième vague : ils auront sans doute des problèmes de recrutement. On ne peut pas laisser 100 personnes dans un même foyer, et cela relève des collectivités locales.

En ce qui concerne le logement, de la même façon que lorsqu'il y a beaucoup de neige, les agents des services publics qui habitent à 50 kilomètres ne peuvent pas venir travailler ; nous avons constaté un problème dans le logement des soignants, qui habitent souvent très loin. Il faudra réfléchir à résoudre ce problème de mobilité, et pas seulement de transport - je pense à toutes les femmes qui nous disaient qu'elles avaient très peur dans les transports en commun, parce qu'il n'y avait plus personne. Je veux bien que l'on indemnise d'Île-de-France mobilités pour la perte qu'elle a subi, mais il faut se souvenir que toutes les autorités organisatrices des mobilités (AOM) en ont subi : à Lyon, c'est près d'un milliard d'euros.

J'ai été maire de Bron, sur le territoire duquel se trouvent l'hôpital cardiologique, l'hôpital neurologique, l'hôpital femme-mère-enfant et l'école de santé - les établissements de santé représentent un tiers du territoire. Mais ce n'est plus le maire qui signe les permis de construire, et ce n'est plus lui non plus qui siège au conseil d'administration. J'ai lu qu'au Ségur, l'AMF n'a pas obtenu satisfaction. Pourquoi ? Si les maires ne sont pas impliqués de nouveau dans la gouvernance des hôpitaux, cela va poser des problèmes.

S'agissant de la confiance, des généralistes ont lancé hier un appel, parce que les malades qu'ils envoient se faire tester n'arrivent pas à l'être avant les autres. Comment voulez-vous que les Français aient confiance dans ces conditions ?

Mme Victoire Jasmin. - M. le président de l'AMF critique avec raison la centralisation excessive. Mayotte et la Guyane ont été confinées comme l'Hexagone. Pourtant, c'est après que l'on a vu le nombre de cas augmenter considérablement, empêchant par exemple le deuxième tour des élections municipales. Les sénateurs de ces deux territoires ont protesté récemment auprès du Gouvernement, parce qu'ils ne sont pas satisfaits de la façon dont leur point de vue est pris en compte.

Vous avez parlé de dichotomie concernant le commandement opérationnel. Ne serait-il pas opportun de saisir justement cette situation sanitaire difficile pour utiliser et même valoriser l'existant ? Nous avons déjà des plans de continuité d'activité ; ne devrions-nous pas les prendre en compte, ainsi que les contrats locaux de santé intercommunaux ? Tous les partenaires font partie des conférences de santé et des conférences de l'autonomie, mais ne travaillent pas forcément ensemble.

Mme Anne Hidalgo. - Concernant les personnes âgées vulnérables, pendant la période de confinement, nous avons puisé dans nos stocks de masques pour équiper celles et ceux qui devaient se rendre à leurs domiciles, notamment pour le portage de repas. Nous avons activé dès le début de la crise le dispositif Chalex, prévu pour les cas de canicule. Nombre de bénévoles, notamment des agents publics, sont venus aider le service de renseignement téléphonique 39 75, avec un renvoi vers les services pour appeler les personnes qui auraient montré ou parler d'une vulnérabilité. Nous avons aussi développé avec la protection civile une plateforme d'appel chargée de s'enquérir de la situation des personnes vulnérables isolées, qu'il s'agisse de personnes âgées ou de personnes en situation de handicap.

Concernant les grands hébergements collectifs, avec le préfet d'Île-de-France, Michel Cadot, et les associations, nous avons cherché à voir comment nous pouvions en sortir pour privilégier d'autres hébergements, y compris en hôtel. Cela n'a pas été facile, et il faut que nous approfondissions la question : un hébergement collectif peut se transformer en cluster. Les associations ont distribué quelque 17 000 repas par jour à des personnes qui étaient sans domicile, mais aussi à des familles ou à des retraités qui étaient en très grande difficulté financière. Nous avons aussi pu puiser dans nos stocks de masques pour leur en fournir. Les bénévoles des grandes associations humanitaires sont souvent des personnes âgées, donc fragiles ; ils ont dû chercher des jeunes, qui sont venus renforcer leurs actions.

Santé publique France n'était pas du tout dans mon viseur, donc je ne saurais pas vous en parler.

Mme Catherine Deroche, rapporteur. - Il faut lancer un avis de recherche !

Mme Anne Hidalgo. - Effectivement, monsieur Karoutchi, il faut se poser la question de la réforme de l'organisation de notre pays à très court terme, pour faire face à une éventuelle augmentation du nombre de cas avant la fin de l'été ou en septembre.

Nous devons clarifier deux points. La doctrine sur les masques n'est pas nette. Le recours contre la décision de Philippe Laurent est préoccupant. Les maires devraient pouvoir, en prenant certes l'avis des autorités sanitaires, mais en fonction de la situation de leur territoire, prendre une décision comme celle de rendre le port du masque obligatoire pour telle activité ou dans tel espace public. Malheureusement, on traîne encore cette idée que le masque ne servirait à rien. Quelqu'un m'a même dit : « Je suis fils de médecin, je peux vous dire que ça ne sert à rien ! ». J'ai répondu : « Je suis fille d'électricien et je pense que c'est utile. » En Asie, c'est le point de départ de toute politique de freins aux contaminations.

C'est la même chose pour les tests. Comme dans d'autres villes, nous avons décidé de mettre à disposition à Paris-Plage des tests PCR et sérologiques gratuits. Il y a des files d'attente tous les jours. Avant Paris-Plage, nous avions installé de grands barnums à plusieurs endroits, et cela a été un succès assez impressionnant. Le fait qu'il y ait plus besoin de prescription médicale nous permet désormais de mobiliser des gens que l'on ne pouvait pas mobiliser auparavant.

Comment vois-je la rentrée dans une ville comme Paris ? Sur chaque place du village de nos arrondissements, devant la mairie d'arrondissement, il y aura un barnum pendant une ou deux semaines d'affilée avec des tests gratuits pour toutes celles et ceux qui le voudront. Nous avons mis en place avec l'AP-HP et des médecins de ville un dispositif qui permet d'intervenir assez rapidement si un cluster est identifié, en proposant aux personnes de s'isoler. Mais aujourd'hui, maire de Paris, je n'arrive pas à obtenir l'information sur l'emplacement des clusters parisiens. Ce sont des données confidentielles !

À la rentrée, nous allons donc devoir travailler sur les masques, les tests et le partage des données, si nous ne voulons pas nous retrouver au point de départ, c'est-à-dire à la situation du début du confinement. Nos concitoyens ne le comprendraient pas et auraient raison de nous en vouloir. Il faut laisser les maires s'organiser : ce sont eux qui connaissent le mieux leur territoire.

M. Frédéric Bierry. - Mme Meunier a raison sur les réseaux d'aide à domicile : nous étions tellement obsédés par les Ehpad que nous les avons un peu oubliés au départ. J'ai été interpellé sur les réseaux, et nous leur avons aussi livré des masques toutes les semaines. Aujourd'hui, nous travaillons avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), pour revaloriser les métiers du maintien à domicile. Car, dans ce domaine, si l'offre n'est pas suffisante, nous prenons le risque de créer une embolie dans les Ehpad et les hôpitaux. Cela représente un coût. Surtout c'est dommage pour la vie quotidienne de nos aînés, qui, pour la plupart, veulent rester chez eux.

Nous voulons accompagner ces métiers dans la crise et les aider à se développer à l'avenir. Il me semble qu'ils n'ont pas été inclus dans la revalorisation décidée lors du Ségur, alors que ce serait nécessaire.

Je n'ai pas d'alerte particulière en ce qui concerne les MDPH et l'intégration scolaire des élèves. J'ai bon espoir que, territoire par territoire, les choses se feront correctement.

Monsieur Karoutchi, la confiance entre les collectivités et l'État est à géométrie variable. Il existe d'excellents préfets, avec lesquels on peut s'entendre très bien, comme c'est le cas avec la préfète du Bas-Rhin, avec qui je travaille remarquablement au quotidien et qui respecte le rôle de l'élu. Mais je constate, au regard des remontées que j'ai pu avoir d'autres départements, que cela n'est pas toujours le cas. Cela vaut aussi pour les liens avec les ARS.

Nous voulons aussi tirer parti des bonnes pratiques. Face à une situation sans précédent, beaucoup a été fait grâce aux chaînes de solidarité qui se sont mises en place entre les acteurs associatifs et économiques, les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Nous cherchons à faire remonter à l'ADF les bonnes pratiques, pour que celles-ci puissent essaimer. Nous ne devons pas perdre les chaînes de solidarité qui ont été développées pendant cette période.

Je suis un fervent partisan des contrats locaux de santé et, j'ajouterais, médico-sociaux et sociaux, car si l'on veut mener des actions de prévention sanitaire, il faut lier les trois dimensions. Ces contrats doivent se construire à partir des bassins de vie, et il faut les renforcer si l'on veut disposer d'un service public de santé efficace.

La France compte 1 200 agences d'État, qui coûtent 60 milliards d'euros à notre pays. Je constate que l'on pourrait supprimer Santé publique France : tout comme la maire de Paris, je n'en ai jamais entendu parler, si ce n'est au travers de chiffres qui concernaient mon territoire et qui ne semblaient pas tout à fait justes... En tout cas, je n'ai pas eu connaissance de leur travail sur le terrain.

En ce qui concerne le logement des soignants, des solutions ont été mises en place au cas par cas dans un certain nombre de départements, qui permettaient d'isoler les personnes. Il faudra les faire remonter au titre des bonnes pratiques. Si la pandémie reprend, notre capacité à isoler sera un enjeu. Dans nombre de départements, nous avons mené un travail avec l'État pour réserver des chambres d'hôtel, et cette procédure pourrait être développée. L'isolement a finalement été très peu développé pendant la crise ; si elle revient, il faudra y avoir recours davantage.

M. François Baroin. - Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit par M. Bierry sur les aides à domicile. Nous sommes dans la même logique. Cette question est liée à la problématique de l'hébergement, en cas de quatorzaine, si l'épidémie revient. Je suis surpris que les propositions émises par des entreprises comme Accor n'aient été saisies au vol que par Paris ou quelques métropoles, et non par l'État. C'est regrettable, mais il n'est pas trop tard : le système de la quatorzaine dans des hôtels disponibles, sans touristes, avec un accompagnement de la part des mairies, des centres communaux d'action sociale ou de l'État, pour fournir notamment l'alimentation de manière gratuite, est judicieux.

Dans la mesure où c'est l'État qui impose le confinement, il est normal que celui-ci prenne à sa charge la vie quotidienne de ces personnes pendant quatorze jours. Il est préférable de les héberger dans des hôtels, plutôt que dans des centres d'hébergement, qui sont affectés à d'autres missions, ou plutôt que de les laisser à domicile, dans une situation d'isolement qui peut se révéler compliquée. On peut faire preuve de finesse et s'adapter en fonction des catégories d'âges, avec une organisation territoriale définie ville par ville, dans le cadre d'un partenariat avec l'État pour assurer une prise en charge à parité. Ce serait une bonne politique.

Même s'il ne l'a pas dit clairement, M. Karoutchi a évoqué le vote d'une loi organique et d'une loi constitutionnelle...

M. Roger Karoutchi. - Je n'ai pas dit cela !

M. François Baroin. - Vous l'avez dit en filigrane ! J'ai lu récemment les travaux de la Haute Assemblée en faveur d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui distinguent clairement les dimensions qui relèvent des lois constitutionnelles, organiques ou ordinaires. Je tiens d'ailleurs à féliciter le Sénat de la qualité de ce travail, qui comporte d'excellentes idées, et j'en assure une promotion la plus large possible, à la mesure de mes modestes moyens.

Pour autant, je ne suis pas sûr que vous pourrez tenir ce calendrier au mois d'août, si l'épidémie revient à l'automne, d'autant que le renouvellement sénatorial aura lieu en septembre. Il semble difficile de prendre d'ici là tous les décrets d'application d'une éventuelle modification constitutionnelle...

Nous devons donc imaginer autre chose. On ne peut pas souhaiter le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire, qui revient à donner les pleins pouvoirs au chef de l'État dans le domaine sanitaire et qui constitue une sorte d'article 16 bis, que la Constitution ne comporte pas. Si d'aventure ce choix devait être fait à nouveau par le Gouvernement, alors nous devrions écrire ensemble les ordonnances à la lumière de l'expérience que nous avons acquise, par exemple sur les centres logistiques, la distribution du gel hydroalcoolique, l'organisation de l'aide à domicile, les réquisitions des masques ou des autres dispositifs.

Comme c'est l'État qui prend la décision du confinement, il est normal qu'il prenne en charge tout cela, y compris les masques ! Le débat sur la prise en charge par l'État du coût des masques, à hauteur de 50 %, a été hallucinant. L'État ne les a pas distribués ; les collectivités l'ont fait à sa place. Il devrait plutôt nous remercier et nous payer deux fois plus ! Nous avons aussi dû nous battre pour avancer la date de la prise en charge, qui était initialement fixée au moment où le Premier ministre s'est exprimé devant l'Assemblée nationale, soit très tardivement. Comme toujours, les communes, qui ont été à la manoeuvre, créatives, agiles, véloces, disponibles, empathiques, efficaces, grâce à leurs services publics au service de leur population, se retrouvent pénalisées et ont à payer ce qu'elles ne devraient pas avoir à financer ! Nous devrons donc entrer dans les détails, y compris en matière de financement, pour ne pas mettre les collectivités territoriales en difficulté.

Vous m'avez demandé qui était cet inconnu qui se cache derrière le rideau et qui se nomme Santé publique France. Cet organisme a été créé par le Gouvernement précédent. Il rassemble plusieurs instituts, avec la mission, apparemment, d'assurer une veille épidémiologique. Toutefois, nous n'avons eu aucune nouvelle de cet organisme pendant la crise, et lorsque nous en avons eu, elles étaient très loin de la réalité du terrain ! Cette agence de 600 personnes constitue pour moi un Ovni. Il faut, en fait, la percevoir comme un opérateur du ministère de la santé. L'AMF n'a pas eu de contacts avec elle, mais j'ai compris, malgré tout, qu'elle était censée s'occuper, en partie, de la logistique... Ils n'ont pas été très visibles à cet égard.

Pourquoi les maires n'ont-ils pas été entendus ? Nous allons poursuivre notre combat ! Il y a, à l'évidence, un problème culturel : un État obèse, grevé d'une dette qui a encore augmenté de 20 %, affaibli dans les départements où ses effectifs ont fondu, a toujours l'ambition, vieille de trente ans, mais qui n'est plus d'actualité, d'être présent partout et de s'occuper de tout, alors qu'il est incapable de répondre à toute une série de nouvelles préoccupations, comme on le constate en matière de santé, de logement, de culture, de sport ou d'emploi. Voilà autant de sujets relatifs à une réorganisation des pouvoirs publics sur lesquels la représentation nationale aura à se prononcer.

M. Alain Milon, président. - Je le rappelle, Santé publique France est née de la fusion, décidée par la loi santé de 2016, de l'Institut national de veille sanitaire (INVS), de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) et de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes). Ces trois instituts fonctionnaient bien. La volonté était de mutualiser leur fonctionnement, mais, de fait, l'Eprus a disparu, alors que sa mission était justement de s'occuper, notamment, des masques.

M. François Baroin. - Pour répondre à la question posée tout à l'heure par Mme Jasmin, le premier voisin de la France, c'est le Brésil ; c'est avec ce pays que nous avons la plus longue frontière.

Or le Brésil est actuellement au coeur de l'épidémie. Cela montre bien les limites d'un confinement généralisé à la totalité du territoire : pour la gestion de l'outre-mer, une vision unilatérale aboutit à des caricatures ! En outre, il n'existait pas de problème de cadre juridique, les articles 73 et 74 de la Constitution permettant une différenciation et des adaptations dérogatoires au droit commun. Il aurait donc fallu anticiper : la Guyane se trouvant en Amérique du Sud, et compte tenu du caractère inefficace des politiques publiques portées par le Gouvernement brésilien, il était certain que ce territoire serait frappé très vite et que le calendrier de l'épidémie n'y serait pas le même qu'en métropole. Et c'est vrai aussi de Mayotte, où il faut également s'adapter, ce que la Constitution permet.

Madame Jasmin, votre rôle est précieux, et vos collègues présidents des associations départementales des maires ont été très actifs. Nous les avons associés tout au long de la période pour relayer leurs problèmes, qu'il s'agisse de la raréfaction de l'eau potable en Guadeloupe, de la concomitance des épidémies de dengue et de coronavirus dans certains territoires d'outre-mer ou de la situation singulière des départements de l'océan indien. Bref, vous disposez de relais puissants, que nous écoutons et que nous aidons à se faire entendre de l'État.

Mme Angèle Préville. - Monsieur Baroin, vous nous avez indiqué que les maires, comme les élus en général, n'avaient pas été sollicités pour le confinement. En attendant une loi qui permettra peut-être de les associer davantage à une telle décision, avez-vous fait remonter auprès de l'État leurs sollicitations sur ce sujet ? Avez-reçu de la part du Gouvernement des indications permettant de penser que, s'il y avait un nouveau confinement, vous seriez davantage écouté ? D'ailleurs, selon vous, faudrait-il associer plutôt les régions, les départements ou même les EPCI, pour être au plus près des citoyens ?

Monsieur Bierry, les Ehpad ont été à la peine, et c'était prévisible. Vous avez parlé de manque de masques, de gel et de surblouses. Combien de temps ces problèmes ont-ils perduré ? Ont-ils été vécus comme une fatalité, ou les personnels ont-ils bricolé pour constituer des protections individuelles ? En effet, les résidents d'Ehpad étant confinés, la contamination est entrée dans ces établissements par les agents qui y travaillaient. Enfin, vous avez mentionné la distribution de masques en tissu lavables, fabriqués par un pôle textile en Alsace. En combien de temps ce dispositif a-t-il été opérationnel ? Si d'aventure il nous fallait encore y recourir, combien de temps faudrait-il pour solliciter de nouveau ces ouvrières du textile ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Monsieur le président de l'Association des maires de France, j'ai été sensible à vos propos quand vous avez souligné que la crise avait d'abord été humaine et psychologique et qu'elle commandait de l'humilité, car on l'a parfois oublié.

Dans une audition à l'Assemblée nationale, Xavier Bertrand rappelait que le premier rôle d'un responsable politique était de prévoir le scénario du pire. Toutefois, je pense que c'est difficile pour un maire, qui est partagé entre le devoir de prévenir les populations et le souci de ne pas créer de psychose. Et s'il n'alerte pas assez, il peut se heurter à une population insuffisamment consciente des dangers qui la menacent au premier chef.

Quand j'entends Mme Hidalgo dire que, en tant que maire de Paris, elle n'a pas le droit de connaître les clusters qui concernent sa ville, les bras m'en tombent ! Et je pense que la plupart des membres de cette commission réagissent comme moi. Dans une crise de cette nature, qui, rappelons-le, est inédite et d'une ampleur inégalée, la première chose à faire est d'informer la population, sinon celle-ci sera inquiète et la crise risque d'être mal gérée.

Madame la maire, j'avais mille questions à vous poser, mais j'ai dû en sélectionner quelques-unes...

La première concerne vos relations avec vos homologues des capitales européennes. En effet, j'ai le sentiment que, s'il y a eu un retard à l'allumage dans la gestion de cette pandémie, c'est parce que la coordination internationale avait elle-même tardé. Or une telle coordination est évidemment essentielle pour réagir à l'échelon national.

Ensuite, quelle est votre appréciation sur la façon dont les arrondissements ont géré cette crise ? Vous avez dit les avoir associés de manière assez précise à partir du mois de février. Selon vous, ont-ils joué leur rôle à parts égales ? Il a beaucoup été question de décentralisation, et la machine parisienne est complexe ; pour vous, il était nécessaire de vous appuyer sur les maires d'arrondissement.

Vous avez évoqué la gestion de l'éventuel rebond de l'épidémie à partir de septembre ou octobre. Où en sont précisément les stocks de masques et les tests ?

Je terminerai par une question qui n'a rien de polémique ni de politique. Vous avez parlé des discussions que vous avez menées à propos de la célébration du Nouvel An chinois, le 25 janvier dernier, de premiers cas parisiens déclarés en janvier et d'un mois de février marqué par l'hyperactivité, avec la constitution de plusieurs cellules de crise et l'implication des maires d'arrondissement. Toutefois, le 12 mars, à quelques heures de l'allocution d'Emmanuel Macron, vous rassuriez les électeurs en leur disant dans un communiqué de presse qu'ils pourraient aller voter. Vous évoquiez les stylos et le gel hydroalcoolique, mais par définition pas les masques - comme nous n'en avions pas, le Gouvernement nous expliquait qu'il était inutile d'en porter. Vous-même, en tant que maire proche des préoccupations des Parisiens, étiez-vous convaincue que l'on ne prenait aucun risque en allant voter sans masque ?

Comme de nombreux élus autour de cette table, j'ai été beaucoup interrogée pendant le confinement sur le danger que représentait le premier tour des élections municipales. Certains journalistes posaient d'ailleurs des questions polémiques, et il fallait veiller à ne pas se laisser emporter dans des débats qui auraient peut-être été malsains. Reste que, indépendamment du scrutin lui-même, ont été organisées des réunions de préau, auxquelles vous aviez donné votre accord - j'ai rencontré des directrices d'école qui se plaignaient que les préaux n'aient pas été désinfectés ou qui avaient peur de faire prendre des risques pour les enfants, par exemple lors des centres d'été... En outre, même si cela vous concerne un peu moins, il y a eu des réunions post-électorales, pendant lesquelles il était difficile de dire aux gens de prendre leurs distances, parce que les uns avaient besoin de consolation tandis que les autres étaient dans l'euphorie de bons résultats. Et fallait-il qu'il y ait un second tour ?

Enfin, alors qu'il a beaucoup été question de l'accueil et de l'isolement des malades dans des hôtels de confinement à Paris, nous n'en entendons plus vraiment parler. Est-ce que cette option n'est désormais plus retenue ?

M. Alain Milon, président. - Pour ce qui concerne la diffusion des données de santé, je dois rappeler que la loi d'urgence sanitaire a levé la confidentialité, mais uniquement pour les établissements sociaux et médico-sociaux, les ARS et Santé publique France. Nous ne l'avons pas fait pour les mairies. Il nous reviendra peut-être de revenir sur cette loi, pour faire en sorte que les maires puissent être informés.

M. Martin Lévrier. - Mes questions seront complémentaires. Tout d'abord, je remarque, avec un léger sourire, que l'on parle beaucoup des masques, mais que la doctrine évolue ici aussi : alors que, hier, nous étions tous masqués, ce n'est plus le cas aujourd'hui !

Monsieur Baroin, selon vous, avec le recul dont nous disposons, fallait-il confiner plus tôt ? Et dans ce cas, quid des élections municipales ? On a parlé de confinement par zone. Mais si l'on avait pris une telle décision le 13 mars, aurait-il fallu reporter une partie des élections municipales, celles qui avaient lieu en zone confinée, et non les autres ? Comment aurions-nous fait ?

S'agissant des tests, ceux-ci ne servent qu'à détecter les porteurs du virus ; il faut, ensuite, isoler ces derniers. J'aurais aimé connaître votre regard sur l'isolement. Vous parlez beaucoup d'agilité, de décentralisation et de la nécessité d'accorder les moyens nécessaires aux collectivités ; comment envisagez-vous aujourd'hui cet isolement susceptible d'éviter un nouveau confinement ? Quelles sont les propositions que vous auriez pu faire ou que vous avez déjà faites et qui suivent leur cours ? En effet, ne rêvons pas : si l'on veut éviter un reconfinement en octobre ou en novembre, il faudra que soyons capables d'isoler. En la matière, attendre les instructions de l'État, c'est prendre des risques.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je vous remercie de cette audition très intéressante,...

M. Alain Milon, président. - Elles l'ont toutes été !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - ... qui permet de clarifier les choses. Le paysage se précise peu à peu. Cela a été souligné à plusieurs reprises par le rapporteur, nous sommes toujours confrontés au point aveugle du mois de février. Deux directeurs d'ARS nous ont dit avoir alerté le 25 janvier, et les maires et leur association ont fait au mieux en février. Or, vous l'avez dit, monsieur Baroin, la première réunion organisée à Matignon s'est tenue le 27 février... C'est un sujet qu'il faudra creuser.

Évidemment, se pose le problème de l'implication des collectivités territoriales, de leur coordination et de la nécessaire reconnaissance de leur rôle dans ce type de situation. Monsieur Baroin, vous avez souligné que, pendant la période de confinement, les maires n'étaient impliqués qu'en tant que représentants de l'État ; sans doute les choses ont-elles évolué ensuite, lors du déconfinement.

La question des changements de doctrine a été abordée à propos de plusieurs sujets, comme les parcs et jardins - je n'y reviendrai pas. Mais un n'a pas été évoqué : les écoles et les crèches. En la matière, avez-vous été associé ? Et si tel n'a pas été le cas, comment auriez-vous dû l'être ? En effet, dans ce domaine aussi nous avons constaté et même subi des évolutions de doctrine qui étaient difficiles à comprendre. Or notre souci à tous ici est de savoir, à la lumière de ce qui a fonctionné ou non hier, ce que nous devrons faire demain.

Mme Anne Hidalgo. - Madame Boulay-Espéronnier, oui, la coordination avec les capitales étrangères - non seulement européennes, mais aussi internationales, au travers du réseau du C40 - a été importante. Nous avons tenu plusieurs réunions, qui nous ont permis d'échanger, et nous continuons d'ailleurs de travailler sur la pandémie. Nous avons également discuté, notamment avec les maires africains, au sein de l'AIMF, l'Association internationale des maires francophones, que je préside, ce qui a permis d'apporter des moyens à un certain nombre de villes.

Les arrondissements ont tous très bien géré la crise, quelle que soit l'orientation politique de leurs maires, qui sont des élus de proximité. Comme tout le monde, ils étaient un peu désoeuvrés au début, puis ils ont recensé les publics fragiles, réfléchi aux actions à entreprendre et, surtout, répondu aux demandes qui arrivaient de partout, car tout le monde cherchait une solution ou un moyen d'action.

Les maires d'arrondissement ont assuré une gestion de proximité extrêmement importante. Mon équipe et moi-même avons fait quotidiennement le point avec eux. En outre, j'ai souhaité que tous les maires d'arrondissement soient présents à la réunion hebdomadaire que nous tenions avec les deux préfets et l'ARS, afin qu'il y ait un partage d'information. Enfin, dans la préparation du déconfinement, j'ai moi-même animé tous les jours une réunion avec eux, évidemment par visio-conférence.

Les maires d'arrondissement ont été présents. Ils m'ont indiqué qu'ils ne devaient pas être tenus à la porte des Ehpad parisiens, notamment ceux du CASVP, le centre d'action sociale de la Ville de Paris, en raison d'une doctrine de notre collectivité qui n'avait pas de sens. Ils ont été très présents pour ce qui concerne la fabrication ou la distribution des masques. Nombre de mairies d'arrondissements se sont transformées en lieux de fabrication de masques pendant toute la période du confinement ; très mobilisées, elles étaient des lieux ressources. Enfin, ils ont diffusé une partie de l'information vers les habitants, dans une démarche de proximité, ce qui a été très utile.

C'est ce qui m'a poussé aussi à considérer qu'il fallait mener un big bang territorial, au niveau non seulement de l'État, mais aussi de la Ville de Paris. En effet, nous souffrons nous aussi d'une organisation beaucoup trop centralisée, parce que l'administration parisienne s'est construite à partir d'une administration préfectorale, organisée en tuyaux d'orgue. Même si de nombreuses réformes ont été depuis une vingtaine d'années, il m'est apparu comme une évidence qu'il fallait aller plus loin : mener non pas une énième réforme, mais véritable un big bang territorial, et c'est ce que nous allons faire.

S'agissant des décisions prises le 12 mars, comme tous les autres maires, je n'ai pas été consultée, ce qui était d'ailleurs normal. Dès lors, quel était notre travail ? Faire en sorte que l'élection municipale, puisqu'elle était maintenue, se tienne dans les meilleures conditions possible. Pour cela, nous avons travaillé avec tous les maires d'arrondissement et les équipes de la ville, afin de diffuser les messages de prévention qui avaient été conçus au niveau national et que nous avions adaptés avec le préfet de la région Île-de-France. Je n'avais pas la compétence pour dire que le masque était obligatoire, dès lors qu'il ne l'était pas à l'échelle nationale ; en revanche, j'ai recommandé le port du masque pour les personnes symptomatiques ou fragiles, mis en place partout du gel hydroalcoolique, demandé aux Parisiens de venir avec leurs propres stylos, etc. Il me semble - de nombreuses études ont été réalisées sur ce sujet - que les conditions sanitaires du premier tour ont été bonnes ; à ma connaissance, les opérations de vote n'ont pas entraîné à Paris une progression de l'épidémie.

Fallait-il maintenir le second tour ? Je n'ai pas vraiment été consultée. Cependant, il me semble que, dès lors que l'on déconfinait la vie économique, il fallait en faire de même avec la démocratie. Par ailleurs, il paraissait nécessaire de relégitimer les équipes municipales, compte tenu des actions que celles-ci allaient devoir entreprendre par la suite, notamment pour faire face à la crise économique. Une possibilité était de conserver pendant plus d'un an des équipes qui avaient connu un premier tour - certains l'avaient emporté brillamment, comme le maire de Troyes, mais d'autres devaient affronter un second scrutin... Toutefois, il était difficile de vivre un aussi long entre-deux, alors même qu'il fallait engager de façon très importante nos collectivités, y compris sur le plan budgétaire, pour répondre à la fois à la crise sanitaire et à la crise économique.

Je pense donc que la décision d'organiser le second tour le 28 juin, avec les précautions qui ont été prises, a été une très bonne décision, en tout cas d'un point de vue démocratique et compte tenu de la nécessité de doter les communes d'équipes capables de les engager. Néanmoins, tout le monde a observé le niveau d'abstention, dont une grande part était liée à la peur de nos concitoyens, et cela nous laisse plus qu'interrogatifs. Il n'y avait pas de bonne solution, mais je pense que celle qui a été retenue était la moins mauvaise.

J'en viens à la question de l'accueil et de l'isolement. Avec le groupe Accor, l'AP-HP, la protection civile et nos propres équipes, nous avons mis en place le dispositif Covisan, qui vise à tester, puis à proposer des chambres d'hôtel aux personnes atteintes du Covid. Nous avons commencé par les quartiers populaires et par ceux qui sont adossés à un hôpital. Or, même si je n'ai plus le chiffre en tête, les chambres d'hôtel n'ont pas été très prisées. Nombre de nos concitoyens ont apprécié qu'on leur propose cette solution d'isolement, mais ont préféré rester à leur domicile. Nous avons alors mis en place, avec le centre d'action sociale de la Ville de Paris, un système de portage des repas, soit à domicile, soit à l'hôtel.

Cette question de la proposition d'isolement sera essentielle. La finalité des tests est en effet de casser les chaînes de contamination. Il faut offrir un hébergement et une prestation de portage de repas pour éviter que les gens atteints ne contaminent les membres de leur famille ou d'autres personnes lors de leurs déplacements. Il faut conjuguer les masques, les tests et l'isolement des personnes testées positives - avec leur accord, naturellement, car il ne s'agit pas de forcer qui que ce soit ; grâce à la pédagogie et à un important travail médico-social, nous pourrons convaincre les personnes porteuses du virus de s'isoler. Il faut donc absolument réactiver les hôtels : nous risquons d'en avoir besoin.

En ce qui concerne l'accueil en crèches, qui relève de la compétence exclusive de la commune, nous avons décidé d'assurer tout de suite l'accueil des enfants des personnels soignants, des agents municipaux de première ligne, ainsi que les enfants des travailleurs dits de la « deuxième ligne ».

Pour les écoles en revanche, pour lesquelles nous détenons une compétence conjointe avec le ministère de l'Éducation nationale, nous avons tenté d'adapter la doctrine retenue, selon laquelle n'étaient prioritaires que les enfants des personnels hospitaliers. J'étais personnellement convaincue que la réussite du déconfinement était conditionnée à une très large réouverture des classes, afin notamment que nos concitoyens puissent reprendre le travail. La solution retenue a emprunté aux deux visions, et je me félicite du travail mené en bonne intelligence avec le rectorat et les maires d'arrondissement.

M. Frédéric Bierry. - Fin mars et début avril, j'ai personnellement reçu des appels et témoignages de directeurs d'Ehpad m'affirmant qu'en cas de persistance des pénuries de masques, ils n'auraient pas d'autre choix que de faire valoir leur droit de retrait. Face au silence des pouvoirs publics les concernant, mon département a été contraint de construire une chaîne de solidarité autonome avec différents acteurs économiques. Ces actions, bricolées dans l'urgence, se sont composées d'achats sporadiques ou de montages de filières de production spécifiques. On a ainsi pu s'appuyer sur des chambres consulaires et quelques entreprises, dont la production a été intégralement absorbée par les commandes des départements et des intercommunalités ; ce réseau, toujours actif, nous permet d'envisager l'avenir avec davantage de sérénité qu'au plus fort de la crise.

Dans le prolongement des échanges que nous avons eus sur l'approfondissement nécessaire de la décentralisation, je constate que ce recours contraint au tissu économique local a dépassé le strict cadre des missions que la loi attribue aux départements. Pour autant, cette initiative a été plutôt conclusive car, en plus d'assurer l'équipement de personnels dépourvus de masques, elle a permis de soutenir la commande publique au sein de nos territoires et de mobiliser, dans le cadre de dispositifs d'insertion professionnelle, de jeunes couturiers qui n'avaient jusqu'alors pas la possibilité d'exercer.

Vous avez posé la question de la coopération internationale. En tant qu'élu d'un territoire frontalier, j'ai été, au début de la crise, confronté aux blocages qu'on opposait de part et d'autre à toute collaboration des acteurs transfrontaliers. Fort heureusement, ces blocages ont été progressivement levés, et les contacts entre nos deux ministres des Affaires étrangères ont permis l'accueil de patients français dans des hôpitaux allemands. J'ajoute que la compétence que nos voisins allemands reconnaissent aux maires dans la définition de l'offre hospitalière a permis de nouer des contacts à un niveau nettement plus pertinent.

Monsieur Lévrier nous a posé la question de l'opportunité d'un confinement plus précoce. J'avais eu moi-même le Premier ministre Edouard Philippe au téléphone pour plaider pour un confinement immédiat et large du monde économique. Il me paraissait aberrant que les possibilités de « télétravail » soient ouvertes aux « cols blancs », alors que certains « cols bleus » se voyaient contraints en pleine crise de se rendre sur leur lieu de travail. J'avais également alerté la ministre du travail Muriel Pénicaud sur les risques qu'engendrait cette dichotomie en termes de communication.

Madame de la Gontrie, les départements ne détiennent pas de compétence directe en matière de crèches et d'écoles. Nous avons cependant des liens privilégiés avec les assistantes maternelles, que nous avons pu équiper en masques.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Était-ce à votre initiative ?

M. Frédéric Bierry. - Oui, en partenariat avec la caisse d'allocations familiales (CAF). Cet exemple, entre autres, vous démontre l'agilité et la réactivité dont il nous a fallu faire preuve.

M. François Baroin. - Si l'on doit retenir un message fort de notre audition de ce matin, c'est celui que tous les maires de France, de la maire de Paris au maire de la plus petite commune, partagent depuis cette crise une même vision de la décentralisation. Leur front est plus uni que jamais, non pas contre l'État, mais dans une position sereine et raisonnable l'invitant d'une même voix à libérer de nouvelles compétences. Ce message semble avoir été entendu par le Gouvernement, mais en reste pour l'heure au stade des bonnes intentions.

L'expérience l'a heureusement montré : la levée du confinement a été une opération réussie grâce à l'étroite collaboration des maires. Sans cette souplesse territoriale, qui ne leur avait pas été accordée au moment du confinement, on aurait indéniablement couru à la catastrophe.

Dois-je vous faire la liste des sujets - tous cruciaux - profondément impactés par le confinement et qui relèvent tous de la compétence des maires ? Alors que s'ouvre un nouveau mandat municipal, nos concitoyens, dans cette période d'incertitude, n'ont jamais autant attendu de leur commune. Je ne retiendrai que l'exemple des transports publics, dont le modèle est à repenser entièrement et dont le financement, bizarrement assis sur la fréquence d'utilisation des usagers, a été profondément mis à mal par les décisions ministérielles liées au confinement. Les maires devront à l'avenir être associés à ces décisions.

Sur le maintien du premier tour des municipales, nous n'avons tous simplement jamais été consultés. La décision a été celle du Gouvernement seul et nous n'étions, comme la loi le prévoit, que les organisateurs du scrutin. Notre seul rôle a été de nous assurer que la circulaire Castaner, qui requérait que le vote se déroule en respect scrupuleux des mesures de protection sanitaire, soit matériellement appliquée. A ce titre, l'organisation de ce scrutin a préfiguré le modèle de la vie quotidienne des établissements recevant du public (ERP) telle que nous la connaissons encore aujourd'hui.

Autant nous n'avons pas contesté de ne pas participer à cette décision, autant nous aurions apprécié que le Gouvernement nous informe préalablement de l'annulation du second tour. Nous avons favorablement accueilli la date de son report, notre seule revendication étant que ce dernier ne soit pas confondu avec d'autres scrutins locaux à venir en 2021.

De façon plus générale, jusqu'au premier jour du confinement, nous n'avions accès à aucune information délivrée par le conseil scientifique. Les seules informations nous disposions nous étaient directement communiquées par le Gouvernement, une fois le conseil scientifique consulté. Aussi, je regrette de ne pouvoir vous répondre sur notre appréciation de l'opportunité du confinement, puisque nous n'avons pas été invités à donner notre opinion. Tout au long de cette crise, les maires ont été avant tout perçus comme des agents de l'État, ce qu'ils ne sont pourtant qu'en partie.

Madame de la Gontrie, nos contacts avec l'Éducation nationale ont été constants. Le sujet de la réouverture des écoles a été pour nous très compliqué, en raison du caractère obligatoire de la reprise des classes mais du caractère facultatif de la présence des élèves. Les premiers jours, les parents ne souhaitaient pas renvoyer leurs enfants dans les établissements, par inquiétude. J'ajoute que les parents les plus inquiets étaient bien souvent ceux habitant dans les quartiers les plus difficiles, ce qui nous expose encore aujourd'hui à des situations importantes de décrochage. A cet égard, la rentrée de septembre prochain sera plus que jamais un moment fondamental, et je crois que le ministère de l'Éducation nationale en est très conscient.

Bien qu'intéressante, l'idée du protocole Sport, Santé, Culture, Civisme (2S2C), qui offre aux élèves un programme d'activités compatible avec les nouveaux quotas de présence en classe maternelle et élémentaire, ne nous a pas paru devoir être diffusée sur un mode obligatoire. L'État assure en effet un forfait de 110 euros par jour et par atelier de 15 enfants maximum, alors que le coût moyen total de ce dispositif se situe autour de 270 euros. Les communes ne sont pas prêtes à se voir imposer ce complément de financement.

Mme Annie Guillemot. - On les comprend !

M. Alain Milon. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du SénatLa réunion est levée à 13 h 00.

Rappel du statut de la Ville de Paris
(Fusion de la ville et du département)

Depuis le 1er janvier 2019, la Ville de Paris et le conseil départemental constituent ensemble une unique collectivité territoriale.

L'ordonnance n° 2018-74 du 8 février 2018, portant diverses mesures institutionnelles, précise que la Ville de Paris est substituée à la commune et au département de Paris pour tous les établissements dont l'une de ces collectivités était membre, sans que la nature juridique de ces derniers doive évoluer.

Une simplification administrative

La fusion de la Ville et du département de Paris a été rendue possible grâce à la loi sur le statut de Paris et l’aménagement métropolitain promulguée le 28 février 2017.

Parmi les quatre volets de cette loi, la fusion de la Ville et du département de Paris met fin à un enchevêtrement de compétences.

Cette loi permet :

  • une simplification administrative
  • une nouvelle répartition des compétences entre l’État et la Ville
  • le renforcement du rôle des maires d’arrondissements

Cette loi donne la possibilité à Paris d’éviter de signer les différentes conventions que l’on retrouvait entre les deux structures mais cependant, de voter un seul et unique budget contre deux auparavant.

Cette disposition permet à la Ville de Paris de demeurer membre de la métropole du Grand Paris ainsi que des syndicats auxquels appartient la commune ou le département, sans modification de leur nature juridique.

Par ailleurs, l'ordonnance institutionnelle procède au toilettage de plusieurs codes, en substituant la mention "Ville de Paris" aux termes "commune de Paris" et "département de Paris".

Désormais, une seule séance avec un seul ordre du jour ont lieu lors des conseils de Paris.

Rappel du statut du Centre d'Action Sociale de la Ville de Paris

C’est le code de l’action sociale et des familles qui fixe les dispositions particulières d’organisation et de fonctionnement du Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris.


Important

Code de l'action sociale et des familles
Article L121-6 
Par convention passée avec le département, une commune peut exercer directement tout ou partie des compétences qui, dans le domaine de l'action sociale, sont attribuées au département en vertu des articles L. 121-1 et L. 121-2.