Khedidja Zerouali - 24 juillet 2025 à 18h45
Des locaux exigus, des salles sans fenêtre et le ballet bruyant et poussiéreux des travaux du bâtiment.
Depuis son installation, en 2020, rue des Renaudes, dans le XVIIe arrondissement, le personnel de Paris adresse, service du centre d'action sociale de la ville de Paris (CASVP), va de déconvenue en déconvenue.
Ces agent·es, qui sont pour la moitié des contractuel·les, sont chargé·es de domicilier les sans-abri, nécessité administrative et première étape dans le retour à la vie sociale. D'une même voix, ils et elles estiment recevoir les précaires dans des conditions « inacceptables ».
Les travaux dans le bâtiment qui héberge Paris Adresse ont démarré à l'été 2024 et sont devenus gênants au point d'abîmer la santé des travailleurs et travailleuses.
«Certains jours, c'est des bruits de marteau piqueur, de perceuse, sans arrêt, explique Oumar, agent de Paris adresse depuis février 2023, passé fonctionnaire fin 2024. On ne s'entend même pas avec les usagers, on doit souvent hausser la voix. La médecine du travail m'a fait des tests d'audition, je n'ai pas eu de bons résultats, elle m'a orienté vers un ORL.»
Nassaratou, agente contractuelle de 24 ans, enchaîne les migraines et a perdu des points d'audition à l'oreille gauche, selon la médecine du travail. «Avant ce travail, j'allais bien, souffle t-elle. Il est arrivé que la direction ferme le site quand les bruits étaient trop intenses, mais c'était rare.»
Depuis un an, Isolde, contractuelle de 22 ans, a aussi régulièrement des migraines. «À la fin de la journée, je me sens épuisée à cause de tout ce bruit. Des fois, le soir, je ne mange même pas, j'ai juste envie de dormir... On a trop accumulé de souffrance au travail. La grève était notre seule issue pour se faire entendre.» Depuis le 10 juillet, dix des douze agent·es de Paris adresse ont cessé le travail.
Dans les discussions qui ont suivi avec la direction du CASVP, les agent·es ont insisté : les travaux ne sont que la partie émergée de l'iceberg. En effet, les locaux, situés dans le même bâtiment que ceux de La Poste, semblent largement sous-dimensionnés. Ils ne comptent que quatre bureaux de réception, alors que Paris adresse sert de boîte aux lettres pour 15 000 personnes.
«Chaque jour, à peu près 200 personnes viennent dans les locaux», précise Simon Le Cœur, secrétaire général de la CGT CASVP. Dans la salle d'attente, seulement sept chaises. «Quand elles sont occupées, les personnes doivent faire la queue devant les locaux, explique le cégétiste. Il y a toujours plusieurs dizaines de personnes qui font la queue dans la rue.» Dans ces longues files d'attente, la tension atteint parfois des sommets. «Il y a un moment où on devait sortir dans la rue régulièrement pour calmer les choses», explique Oumar.
Mais ce n'est pas tout. «Il n'y a pas de confidentialité tellement les murs sont fins et les locaux mal agencés, ajoute le fonctionnaire. Les gens nous exposent leur vie, leurs problèmes et tout le monde entend tout.» Pas d'intimité non plus. L'unique local toilettes est mixte et sert autant aux agent·es qu'au public. C'est aussi le seul endroit où il y a un robinet d'eau. La petite salle de pause, sans fenêtre et sans robinet, sert parfois de bureau pour le «back-office».
«Bref, ce n'est pas un lieu digne pour le public que nous recevons», balaye Nassaratou, agente contractuelle depuis deux ans chez Paris adresse.
Les agent·es pourraient parler des heures des maux de tête à cause du bruit permanent, des débris de chantier qui tombent sur les rares fenêtres, des système d'aération en panne ou de la photocopieuse située en pleine salle d'attente. Mais de tout cela, il n'est plus vraiment question. «On a obtenu, grâce à la grève, de changer de locaux, se réjouit Simon Le Cœur. Le service devrait déménager début août, dans le XIIe arrondissement »
De son côté, la mairie a indiqué à Mediapart qu'effectivement, «le temps des travaux étant générateurs d'importantes nuisances, un nouveau local et espace de travail a été mobilisé pour les agents [...] afin d'améliorer leurs conditions de travail, et d'accueil et de dialogue avec les usagers». Cependant, ce déménagement ne devrait être que temporaire : «Une fois les nuisances terminées, les agents de la ville de Paris retourneront sur le site de Paris adresse.» Pas sûr que cela convienne aux agent·es qui, au-delà du bruit, s'inquiètent de l'inadaptation même des locaux. Et la mairie de répondre : «Les espaces sans fenêtre sont limités à la salle de réunion et à un box qui est utilisé en appui à l'accueil et donc de manière discontinue, il ne s'agit pas de réception en continu d'usagers par les instructeurs.»
Concernant le manque de place, la mairie balaye :
« Comme l'ensemble des dispositifs accueillant des publics en précarité, Paris adresse est extrêmement sollicité, et a atteint sa montée en charge en 2024. Des adaptations ont été travaillées afin de mieux réguler les flux.
140 euros de prime demandés
Reste la question du salaire. Les agent·es sont payé·es différemment selon leur statut. «A ce poste, un fonctionnaire dans sa première année est payé 250 euros net au dessus du Smic, détaille Simon Le Cœur. Un contractuel touchera 180 euros de plus que le Smic.» Un bien maigre pécule pour des employé·es à Paris.
D'ailleurs, ne pouvant se permettre de se loger près de leur travail, toutes et tous avalent de longs trajets de transports en commun.
Chaque matin, Oumar prend le RER pendant une heure. Après deux ans d'ancienneté, il est payé 1800 euros net, primes comprises. «Je suis devenu papa d'un petit garçon, c'est pas facile.» Isolde, elle, prend la ligne de métro 13 pendant quarante-cinq minutes tous les jours.
«C'est pas avec mon salaire que je pourrais habiter à Paris !» Elle est payée 1700 euros net, qui ne lui suffisent pas non plus. «1 700 euros en région parisienne, ça part vite. Surtout qu'on travaille dans le XVIIe. Le midi, on payait nos sandwichs 6 ou 7 euros, juste le sandwich ! Depuis juin, on a découvert une cantine de la mairie à laquelle on a accès, près du travail. Personne ne nous l'avait jamais dit avant. »
De son côté, Nassaratou touche quelque 1630 euros mensuels : « je suis l'aînée d'une famille de six enfants, je dois aider mes parents et clairement, ce salaire n'est pas suffisant. »
Les grévistes demandent une prime de 140 euros par mois. La direction du CASVP, au deuxième jour de grève, leur a proposé une somme qu'ils et elles ont refusée. «La ville de Paris a proposé une revalorisation de 70 euros, précise la ville, en cohérence avec d'autres situations similaires. La non-attribution d'une prime de 140 euros s'explique par une recherche d'équité interne et de cohérence sur des fonctions comparables.»
«On a demandé une prime de 140 euros pour les compétences qu'on met en œuvre tous les jours, répond Oumar. On parle avec les usagers dans des langues étrangères. Moi j'utilise parfois l'anglais ou le diakhanké, dialecte du Sénégal.»
👉 Voir aussi actuPARIS : À Paris Adresse, site chargé de donner une adresse fixe aux pauvres, les agents de la Ville à bout de souffle... lien...
Depuis son installation, en 2020, rue des Renaudes, dans le XVIIe arrondissement, le personnel de Paris adresse, service du centre d'action sociale de la ville de Paris (CASVP), va de déconvenue en déconvenue.
Ces agent·es, qui sont pour la moitié des contractuel·les, sont chargé·es de domicilier les sans-abri, nécessité administrative et première étape dans le retour à la vie sociale. D'une même voix, ils et elles estiment recevoir les précaires dans des conditions « inacceptables ».
Les travaux dans le bâtiment qui héberge Paris Adresse ont démarré à l'été 2024 et sont devenus gênants au point d'abîmer la santé des travailleurs et travailleuses.
«Certains jours, c'est des bruits de marteau piqueur, de perceuse, sans arrêt, explique Oumar, agent de Paris adresse depuis février 2023, passé fonctionnaire fin 2024. On ne s'entend même pas avec les usagers, on doit souvent hausser la voix. La médecine du travail m'a fait des tests d'audition, je n'ai pas eu de bons résultats, elle m'a orienté vers un ORL.»
Nassaratou, agente contractuelle de 24 ans, enchaîne les migraines et a perdu des points d'audition à l'oreille gauche, selon la médecine du travail. «Avant ce travail, j'allais bien, souffle t-elle. Il est arrivé que la direction ferme le site quand les bruits étaient trop intenses, mais c'était rare.»
Depuis un an, Isolde, contractuelle de 22 ans, a aussi régulièrement des migraines. «À la fin de la journée, je me sens épuisée à cause de tout ce bruit. Des fois, le soir, je ne mange même pas, j'ai juste envie de dormir... On a trop accumulé de souffrance au travail. La grève était notre seule issue pour se faire entendre.» Depuis le 10 juillet, dix des douze agent·es de Paris adresse ont cessé le travail.
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Oumar et Nassaratou font partie des dix agents de Paris adresse en grève. |
En avril 2025, le syndicat Unsa a déposé un droit d'alerte qui a permis l'ouverture d'une procédure pour danger grave et imminent.
Dans les discussions qui ont suivi avec la direction du CASVP, les agent·es ont insisté : les travaux ne sont que la partie émergée de l'iceberg. En effet, les locaux, situés dans le même bâtiment que ceux de La Poste, semblent largement sous-dimensionnés. Ils ne comptent que quatre bureaux de réception, alors que Paris adresse sert de boîte aux lettres pour 15 000 personnes.
«Chaque jour, à peu près 200 personnes viennent dans les locaux», précise Simon Le Cœur, secrétaire général de la CGT CASVP. Dans la salle d'attente, seulement sept chaises. «Quand elles sont occupées, les personnes doivent faire la queue devant les locaux, explique le cégétiste. Il y a toujours plusieurs dizaines de personnes qui font la queue dans la rue.» Dans ces longues files d'attente, la tension atteint parfois des sommets. «Il y a un moment où on devait sortir dans la rue régulièrement pour calmer les choses», explique Oumar.
Mais ce n'est pas tout. «Il n'y a pas de confidentialité tellement les murs sont fins et les locaux mal agencés, ajoute le fonctionnaire. Les gens nous exposent leur vie, leurs problèmes et tout le monde entend tout.» Pas d'intimité non plus. L'unique local toilettes est mixte et sert autant aux agent·es qu'au public. C'est aussi le seul endroit où il y a un robinet d'eau. La petite salle de pause, sans fenêtre et sans robinet, sert parfois de bureau pour le «back-office».
«Bref, ce n'est pas un lieu digne pour le public que nous recevons», balaye Nassaratou, agente contractuelle depuis deux ans chez Paris adresse.
Les agent·es pourraient parler des heures des maux de tête à cause du bruit permanent, des débris de chantier qui tombent sur les rares fenêtres, des système d'aération en panne ou de la photocopieuse située en pleine salle d'attente. Mais de tout cela, il n'est plus vraiment question. «On a obtenu, grâce à la grève, de changer de locaux, se réjouit Simon Le Cœur. Le service devrait déménager début août, dans le XIIe arrondissement »
De son côté, la mairie a indiqué à Mediapart qu'effectivement, «le temps des travaux étant générateurs d'importantes nuisances, un nouveau local et espace de travail a été mobilisé pour les agents [...] afin d'améliorer leurs conditions de travail, et d'accueil et de dialogue avec les usagers». Cependant, ce déménagement ne devrait être que temporaire : «Une fois les nuisances terminées, les agents de la ville de Paris retourneront sur le site de Paris adresse.» Pas sûr que cela convienne aux agent·es qui, au-delà du bruit, s'inquiètent de l'inadaptation même des locaux. Et la mairie de répondre : «Les espaces sans fenêtre sont limités à la salle de réunion et à un box qui est utilisé en appui à l'accueil et donc de manière discontinue, il ne s'agit pas de réception en continu d'usagers par les instructeurs.»
Concernant le manque de place, la mairie balaye :
« Comme l'ensemble des dispositifs accueillant des publics en précarité, Paris adresse est extrêmement sollicité, et a atteint sa montée en charge en 2024. Des adaptations ont été travaillées afin de mieux réguler les flux.
140 euros de prime demandés
Reste la question du salaire. Les agent·es sont payé·es différemment selon leur statut. «A ce poste, un fonctionnaire dans sa première année est payé 250 euros net au dessus du Smic, détaille Simon Le Cœur. Un contractuel touchera 180 euros de plus que le Smic.» Un bien maigre pécule pour des employé·es à Paris.
D'ailleurs, ne pouvant se permettre de se loger près de leur travail, toutes et tous avalent de longs trajets de transports en commun.
Chaque matin, Oumar prend le RER pendant une heure. Après deux ans d'ancienneté, il est payé 1800 euros net, primes comprises. «Je suis devenu papa d'un petit garçon, c'est pas facile.» Isolde, elle, prend la ligne de métro 13 pendant quarante-cinq minutes tous les jours.
«C'est pas avec mon salaire que je pourrais habiter à Paris !» Elle est payée 1700 euros net, qui ne lui suffisent pas non plus. «1 700 euros en région parisienne, ça part vite. Surtout qu'on travaille dans le XVIIe. Le midi, on payait nos sandwichs 6 ou 7 euros, juste le sandwich ! Depuis juin, on a découvert une cantine de la mairie à laquelle on a accès, près du travail. Personne ne nous l'avait jamais dit avant. »
De son côté, Nassaratou touche quelque 1630 euros mensuels : « je suis l'aînée d'une famille de six enfants, je dois aider mes parents et clairement, ce salaire n'est pas suffisant. »
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Depuis le 10 juillet, dix des douze agents de Paris adresse sont en grève. |
Les grévistes demandent une prime de 140 euros par mois. La direction du CASVP, au deuxième jour de grève, leur a proposé une somme qu'ils et elles ont refusée. «La ville de Paris a proposé une revalorisation de 70 euros, précise la ville, en cohérence avec d'autres situations similaires. La non-attribution d'une prime de 140 euros s'explique par une recherche d'équité interne et de cohérence sur des fonctions comparables.»
«On a demandé une prime de 140 euros pour les compétences qu'on met en œuvre tous les jours, répond Oumar. On parle avec les usagers dans des langues étrangères. Moi j'utilise parfois l'anglais ou le diakhanké, dialecte du Sénégal.»
D'autres parlent arabe, espagnol, dioula - parlé au Mali, en Côte d'ivoire, au Burkina Faso - ou soninké - parlé au Mali, au Sénégal, en Mauritanie. « Tout ça, ce n'est pas récompensé sur la fiche de salaire », poursuit Nassaratou, qui maîtrise trois langues étrangères.
« On accompagne aussi des gens qui ne savent pas utiliser leur téléphone, envoyer des mails, et on le fait de bon cœur pour aider les gens, complète Isolde. Mais ça non plus, ce n'est pas reconnu. C'est comme s'ils ne nous considéraient pas. Comme s'ils ne voyaient pas tout le mal que l'on se donne pour accompagner les plus précaires.»
Le dossier d'lsolde n'a pas été retenu cette année pour passer au statut de fonctionnaire. Elle espère retenter sa chance en 2026, grâce à la titularisation sans concours, conclut-elle, amère. La demande formulée par les grévistes de titulariser toute l'équipe est, elle aussi, restée lettre morte.
Khedidja Zerouali
« On accompagne aussi des gens qui ne savent pas utiliser leur téléphone, envoyer des mails, et on le fait de bon cœur pour aider les gens, complète Isolde. Mais ça non plus, ce n'est pas reconnu. C'est comme s'ils ne nous considéraient pas. Comme s'ils ne voyaient pas tout le mal que l'on se donne pour accompagner les plus précaires.»
Le dossier d'lsolde n'a pas été retenu cette année pour passer au statut de fonctionnaire. Elle espère retenter sa chance en 2026, grâce à la titularisation sans concours, conclut-elle, amère. La demande formulée par les grévistes de titulariser toute l'équipe est, elle aussi, restée lettre morte.
Khedidja Zerouali
MEDIAPART 24 juillet 2025 (lien...)