● La réforme des banques


QUESTIONS À J-C LE DUIGOU, ÉCONOMISTE, CONSEILLER DE LA CGT

Le projet de loi bancaire est-il de nature à combattre les opérations spéculatives des banques ?





Ce projet de loi est un coup d’épée dans l’eau. François Hollande avait promis de séparer les activités bancaires classiques des activités de marché des banques. Il s’agissait de protéger les activités de crédit du secteur bancaire afin qu’elles servent au développement de l’activité économique et non à la spéculation. En effet, quand les activités de marché se trouvent dans la même entité que l’activité de crédit, la spéculation peut se développer au-delà du raisonnable car elle bénéficie d’une garantie implicite de la puissance publique qui ne peut pas laisser une grande banque faire faillite. Le projet de loi ne propose plus de « séparer les activités », mais se contente de protéger « les activités réalisées avec un client ». Comme toutes les activités financières, ou presque, sont réalisées avec un client qui peut être une entreprise, un riche particulier ou un fonds d’investissement, ce client sera bien souvent un spéculateur. Le tour est joué ! De fait, presque aucune activité n’est touchée par la réforme. Cela est notamment vrai pour les produits dérivés, ces fameux instruments financiers faits pour se couvrir contre un risque mais qui sont très souvent utilisés pour spéculer. Ce changement d’optique de Bercy a comme conséquence que la spéculation va continuer d’être alimentée par le crédit lié aux dépôts et donc par la création monétaire.

La Banque publique d’investissement (BPI) est-elle à la hauteur des enjeux de la politique industrielle ?

C’est un pas dans la bonne direction. Il y a un réel problème d’accès aux prêts bancaires pour les entreprises. Les banques sont effectivement frileuses et le seront plus encore du fait de la nouvelle législation dite « Bâle III » qui va renforcer le besoin de fonds propres des institutions financières. Pour en limiter le montant, elles restreindront les volumes de crédit distribué. Globalement, les prêts aux PME sont classés comme « à risque » et sont gourmands en fonds propres. C’est donc un secteur que les banques vont, plus que jamais, tenter d’éviter. Il était donc normal de trouver une réponse publique à ce problème. Mais dotée de seulement 40 milliards de fonds propres, la BPI reste toute petite à côté de son équivalent allemand, qui affiche un bilan de plus de 500 milliards d’euros. Va-t-elle se baser sur des critères purement financiers pour accorder des prêts ? Si l’on veut une banque publique, c’est pour avoir un fonctionnement différent de celui des banques privées. Les critères de la BPI doivent être le développement de l’emploi, le respect et la mise en oeuvre de critères sociaux, la poursuite d’objectifs permettant le développement d’une économie sans CO2…

Que propose la CGT pour drainer le crédit vers les activités productives ?

La loi bancaire n’atteint pas la cible pourtant identifiée. Avec la BPI, on reste au milieu du gué avec un outil sous-dimensionné et aux critères d’intervention encore flous. La CGT propose la constitution d’un véritable « pôle financier public ». Il s’agit d’abord de fédérer l’ensemble des établissements financiers publics et non quelques éléments comme c’est le cas de la BPI. Les outils existent, il faut simplement les mettre en synergie pour répondre à l’ensemble des besoins non satisfaits. Ces outils, ce sont la Caisse des dépôts et consignations dans son intégralité, Oséo, le Crédit foncier, la Banque postale… Ces outils, il faut les faire travailler ensemble avec un vrai contrôle citoyen. Dans le même temps, il s’agit de peser pour une réorientation de l’ensemble des activités bancaires et financières. La France est le pays développé où le taux d’épargne est le plus élevé. Il est incompréhensible que les besoins de financement publics et privés ne soient pas couverts. De même, le crédit bancaire est détourné de sa finalité. La part des crédits allant à l’industrie manufacturière est particulièrement faible, à la différence de l’Allemagne. La création de fonds régionaux pour l’emploi et le développement économique est plus que jamais nécessaire. Les critères d’intervention de la Banque centrale européenne doivent être rediscutés avec nos partenaires de la zone euro. Dans la réforme, il ne faut pas oublier la Banque de France qui n’est aujourd’hui pas associée au projet de BPI alors qu’elle dispose d’une connaissance précise du tissu économique local.

Propos recueillis par Laurent Mossino
dans Ensemble, le mensuel des adhérents de la Cgt, n°55 de février 2013.