Pour fêter ses 130 ans, la CGT met les jeunes à l’honneur. Vendredi 13 juin, la confédération tient à son siège de Montreuil une journée nationale dédiée à la jeunesse syndiquée et au monde du travail. Près de 500 jeunes syndiqués CGT sont attendus, avant une soirée festive, devant la mairie de la commune de Seine-Saint-Denis.
Pour l’occasion, le syndicat a commandé un sondage auprès de Cluster17, pour identifier les priorités des moins de 35 ans : emploi, salaire, retraite, droits syndicaux, écologie, logement, services publics, discriminations sont des enjeux prégnants chez les jeunes. Si seulement 5 % d’entre eux se déclarent syndiqués (dont 2 % à la CGT), ils sont 75 % à connaître « plutôt bien » ou « très bien » la centrale, dont l’image est plus positive dans la jeunesse que dans l’ensemble du salariat.
L’Humanité a donc convié la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, à dialoguer avec quatre jeunes adhérents : Cyriane Jacquemin, 28 ans, employée en sport adapté dans un centre communal d’action sociale ; Yoann Regis, 29 ans, technicien polyvalent à Enedis ; Ophélie Texier-Pieri, 33 ans, cadre à EDF ; et Adèle Tellez, 33 ans, jardinière et responsable d’une union locale CGT.
Selon le sondage de Cluster17, 44 % des jeunes déclarent avoir confiance en la CGT pour défendre leurs intérêts de travailleurs. C’est plus que la moyenne des syndicats auprès des salariés. Comment traduire ce crédit en syndicalisation ?
Sophie Binet Cet engouement est une tendance structurelle : les jeunes ont une bonne image du syndicalisme et de la CGT. Ce sondage bat en brèche l’idée d’une jeune génération individualiste ou qui rechigne à s’engager. Cependant, les jeunes se syndiquent peu. C’est de notre responsabilité et, indéniablement, la CGT a des progrès à faire. Il ne faut pas attendre qu’ils viennent se syndiquer.
Par exemple, nos syndicats doivent systématiser l’accueil des nouveaux embauchés, en expliquant des aspects pratiques de l’entreprise mais aussi du salariat, comme déchiffrer une fiche de paie et le rôle du syndicat. Pour la CGT, un des leviers de progression est auprès des apprentis. Ils sont 1 million et nous ne les organisons que très marginalement dans les CFA (centre de formation d’apprentis) ou sur les lieux de travail.
Nous devons aussi nous donner les moyens d’organiser les intérimaires et les précaires. Les jeunes cadres dans les entreprises ont besoin d’organisations spécifiques. Pour eux, les discours infantilisants sont repoussoirs. Ils et elles sont désireux de réfléchir sur l’exercice et le sens de leur travail. Enfin, la CGT doit permettre aux jeunes de militer et de prendre des responsabilités syndicales sans abandonner leur travail.
Cyriane Jacquemin L’envie de soutien et de solidarité est visible sur le terrain. Pour autant, la peur de se syndiquer demeure. Dans mon équipe, nous sommes une quinzaine, tous contractuels et majoritairement à temps partiel. Avec l’incertitude d’être repris d’une année sur l’autre. J’ai franchi le pas courant 2024, et l’adhésion à la CGT m’a apporté un cadre rassurant. En cas de conflictualité, je peux compter sur une équipe de militants soudés qui peut nous accompagner face aux directions. Cette année s’est tenue la 9e édition du Festi’Red, le festival des jeunes CGT des services publics. Ces moments de socialisation militante sont essentiels à l’organisation collective.
Ophélie Texier-Pieri Pour syndiquer les cadres, la CGT doit se faire connaître. Ce public est souvent isolé ou placé à la tête d’une équipe, mais sans soutien hiérarchique. La présence militante sur le terrain est indispensable. Notre action doit être tournée sur des revendications qui leur sont dédiées : protection de la vie personnelle, égalité salariale, hausse des salaires… La CGT n’est pas réservée qu’aux ouvriers. L’image de Sophie Binet aide en ce sens. Le syndicat a été à mon soutien dès mon alternance en master. On peut hésiter à s’engager, notamment par peur de ses supérieurs, mais la CGT nous apporte un cadre solide. J’ai connu un congé parental et le syndicat a pu m’accompagner. Enfin, la CGT ne sensibilisera pas pleinement les cadres si elle est absente des réseaux sociaux.
Yoann Regis La mise en responsabilité des jeunes peut être un blocage dans nos structures professionnelles ou locales. Or, la jeunesse constitue la CGT de demain. Elle ne doit pas être mise de côté. La CGT énergie (FNME) a affecté des référents jeunes à tous les nouveaux de notre fédération, avec pour ambition d’impulser une activité militante dédiée aux jeunes travailleurs dans les territoires et renforcer la syndicalisation.
Adèle Tellez À la CGT, 15 % des adhérents sont isolés de nos syndicats. Et, dans la grande majorité des lieux de travail, la CGT est absente ou son activité est centrée sur la gestion du CSE. Nous avons besoin de structures solides pour accueillir les jeunes. La précarisation de la jeunesse s’ajoute à l’absence de présence syndicale. Nous avons besoin de renforcer notre maillage professionnel et territorial pour accueillir chaque syndiqué afin de les organiser sur le long terme dans nos structures.
L’augmentation des salaires (26 %), un accès gratuit à la santé et à l’éducation (23 %) ainsi qu’à un logement digne et abordable (23 %) sont les trois priorités citées par les jeunes sondés. Comment la CGT peut-elle répondre à ces aspirations ?
Sophie Binet Il n’y a pas une jeunesse, mais des jeunes avec des problématiques diverses en fonction notamment de leur niveau de qualification. Les résultats de ce sondage sont une vraie alarme : salaire, logement, santé ; le point commun, c’est le pouvoir d’achat. Les jeunes ont été les premières victimes de la crise inflationniste. Ils et elles n’ont jamais été aussi qualifiés, 50 % d’entre eux sont diplômés du supérieur, mais la smicardisation devient la norme.
La précarisation des emplois dans le temps enferme les jeunes sur des bas salaires. Un focus doit être porté sur les inégalités femmes-hommes, qui apparaissent dès l’embauche. Par le coût de l’achat d’un bien et des contraintes liées à la location, et notamment l’obligation de disposer de garants, le logement est un outil de reproduction sociale et de spéculation. Cela doit devenir une priorité syndicale !
C’est le sens des Assises nationales du Logement, que nous avons tenues en avril, en réclamant notamment le développement des foyers de jeunes travailleurs et l’encadrement des loyers. Durant les élections municipales, nous interpellerons les futurs candidats. Il nous faut mener la bataille pour le développement des centres de santé pour contrer la financiarisation de la médecine de ville organisée par Ramsay et consorts et lutter contre les dépassements d’honoraires.
Ophélie Texier-Pieri Chez les cadres aussi, il n’est pas toujours facile de boucler les fins de mois, notamment dans les grandes villes. Les salaires doivent être augmentés au travers des hausses du brut et non via des primes ou de l’intéressement. La reconnaissance salariale est une bataille que la CGT doit porter. Bien sûr, quand on donne une prime, pour un jeune, c’est toujours bon à prendre. Mais une reconnaissance de courte durée n’est pas un modèle à suivre. Les jeunes sont en souffrance sur la santé. S’agissant de la santé mentale, les soins doivent être gratuits et disponibles rapidement.
Cyriane Jacquemin À Paris, les faibles salaires et le coût de la vie nous poussent à mentir sur nos salaires pour obtenir un logement ou de se déclarer encore étudiant après la fin de nos études. On prend les transports en commun de manière aléatoire, pour économiser sur les prix des transports. Face à ces difficultés, le local syndical peut apparaître comme un refuge pour ne pas passer du temps dans des habitations désuètes.
Adèle Tellez La force de la CGT est de confédéraliser différents corps de métiers, qui ne dialoguent pas nécessairement dans la vie courante. Au-delà du syndicalisme du quotidien, la CGT doit être force de propositions pour changer la société dans sa globalité. Ce projet de société est aussi un moyen de faire connaître la CGT chez les jeunes et de répondre à l’ensemble de leurs aspirations.
Nous sommes à la veille d’une offensive contre le modèle social français. S’agissant des retraites, une large majorité des jeunes est attachée à la prise en compte de la pénibilité et au système par répartition. Comment mobiliser la jeunesse ?
Sophie Binet Au chacun pour soi prôné par les libéraux et l’extrême droite, il faut opposer la solidarité comme choix de société. Aux États-Unis, soigner un cancer vous coûtera 200 000 dollars, 15 000 dollars pour un accouchement, et la retraite, par capitalisation, comporte un risque inhérent de faillite des fonds de pension.
A contrario, un système de retraite par répartition ne peut faire défaut. Un fatalisme s’est installé chez les jeunes : la retraite ne sera pas pour eux. Et chez les jeunes cadres, le réflexe d’épargner par le biais de la capitalisation pour sa retraite progresse. À nous de contrecarrer, par nos argumentaires, ces logiques. D’ici à la présidentielle de 2027, la CGT lancera une grande campagne sur la solidarité. C’est aussi un moyen de lutter contre l’extrême droite, qui progresse sur la relégation sociale, le repli sur soi et les clivages identitaires.
Ophélie Texier-Pieri S’agissant de la TVA sociale, pour être audible, la CGT devra adapter son discours pour convaincre de la nécessité des cotisations sociales et partant d’exemples concrets. Si la solidarité est financée par la consommation et non plus par les cotisations, les droits sociaux coûteront plus cher aux travailleurs. Les cotisations ne profitent pas qu’aux autres, mais interviennent à n’importe quels moments de la vie, lorsqu’on est malade, au chômage ou enceinte…
Cyriane Jacquemin Dans le débat public, une fracture émerge-t-elle entre une jeunesse privée d’avenir et qui finance par son travail les retraites des plus âgées ? Dans mon travail, j’observe que le clivage est d’abord celui de la classe sociale. La solidarité intergénérationnelle est essentielle. Dans mon métier, nous accueillons aussi bien des personnes de 50 ans qui ont des parcours de vie difficiles que des centenaires. Ils et elles attendent leurs retraites, parce qu’ils sont en bas de l’échelle sociale, comme de nombreux jeunes.
Yoann Regis Lors du mouvement de 2023, la FNME s’était illustrée par les actions des Robin des bois, en mettant en gratuité des hôpitaux, des écoles… Les jeunes peuvent s’y identifier. Ces actions sont décidées lors d’assemblées générales (AG), qui regroupent aussi des non-syndiqués. Les formes d’actions évoluent, notamment par l’arrivée de nouvelles générations dans les luttes.
Elles sont force de propositions. Par exemple, une assemblée générale ne se résume plus à l’image du délégué syndical qui harangue les foules. Ce sont des décisions qui sont prises et partagées par les travailleurs eux-mêmes. À Nokia, des AG par visio ont réuni plus de 1 500 salariés. À GRDF, nous développons des AG numériques nationales pour réunir un maximum de salariés et libérer la parole.
Adèle Tellez La grève est un outil qui peut parler à la jeunesse. Mais cette forme d’action dépend des habitudes ancrées dans les lieux de travail. Pour cela, les structures de la CGT doivent aider les jeunes à passer le pas. Fin 2022, mon union locale a accompagné un mouvement chez les agents d’accueil, prestataires de la Philharmonie de Paris. La plupart étaient des étudiants salariés précaires.
Au début, ils voulaient juste toucher les salaires promis. Nous les avons accompagnés en déchiffrant leurs fiches de paie et en sollicitant, par écrit, l’employeur. Sans effet. Pour imposer un rapport de force suffisant, ces salariés ont décidé de lancer une grève. La CGT a été à leurs côtés pour définir les modalités. Ils ont appris à tenir un piquet de grève. La CGT les a laissés mener un mouvement victorieux, sans décider à leur place.
La lutte contre le racisme et l’antisémitisme dans le monde du travail (5 %), les discriminations de genre ou sexuelles (7 %) et, surtout, la reconnaissance de l’égalité salariale (14 %) restent des attentes de la jeunesse. Comment la CGT peut-elle les traduire dans ses combats de classe ?
Sophie Binet En étant intransigeante sur les lieux de travail et dans nos structures. La poussée électorale de l’extrême droite entraîne une recrudescence des actes racistes, islamophobes et antisémites. En mars, nous avons lancé, avec l’ensemble des confédérations syndicales, une campagne contre le racisme. À Lyon, un chauffeur de bus a reçu, à son domicile, des menaces de mort et des morceaux de saucisson.
Si la CGT n’était pas intervenue, il n’y aurait pas eu d’intervention de l’employeur. Sur le féminisme, la CGT doit être exemplaire en interne et prendre les décisions qui s’imposent en cas de comportement déplacé. Sur les enjeux de sexisme et de racisme, chez les jeunes générations, le seuil de tolérance s’est abaissé. C’est un véritable point d’appui. Et la CGT est attendue et doit être exemplaire.
Ophélie Texier-Pieri Le combat pour l’égalité salariale m’a poussée à m’engager à la CGT. EDF, pourtant un grand groupe public, n’est pas épargné. Je suis rentrée en 2016 et quelqu’un de mon âge, mais qui n’a pas le même sexe, est mieux payé. J’ai pourtant travaillé tout autant que mes collègues hommes. L’inégalité salariale touche beaucoup de cadres et c’est un biais de militantisme pour la CGT.
Adèle Tellez Les discriminations ne touchent pas seulement les travailleurs sans papiers, mais plus largement tous ceux qui n’ont pas la nationalité française. La CGT les accompagne depuis 2008 et rencontre des difficultés innommables pour obtenir des rendez-vous en préfecture. Or, sans renouvellement de titres de séjour, ils peuvent être licenciés. Il y a une volonté idéologique de l’État de reléguer les travailleurs étrangers dans les parties informelles ou illégales de l’économie.
Yoann Regis Des victoires syndicales sont possibles. À Enedis, nous avons obtenu la mise en place d’un congé hormonal, sur avis médical. Les femmes souffrant d’endométriose peuvent bénéficier d’un jour de congé en plus, tous les mois, en cas de règles douloureuses.