Hayet Kechit Publié le 29 juillet 2025
C’est incontestablement une victoire syndicale. En grève illimitée depuis près de deux semaines pour dénoncer leurs conditions de travail devenues « intenables », les 12 agents de Paris adresse, un service du centre d’action sociale de la ville de Paris (CASVP), ont appris le 29 juillet en milieu d’après-midi que leurs revendications avaient enfin été entendues.
Leur direction a accédé à leur demande d’une prime de 140 euros bruts par mois à compter du 1er juillet 2025 et a mis en place un comité de suivi pour leurs autres revendications, dont la titularisation des agents précaires.
Des conditions de travail dénoncées depuis un an
L’annonce, vendredi 25 juillet, de la découverte de fibres d’amiante « à un niveau supérieur au seuil réglementaire » dans l’air de leurs locaux situés au sein d’un immeuble en chantier aura certainement joué un rôle d’accélérateur dans la décision de la Ville.
Aux yeux de l’Unsa et de la CGT, cette découverte – même si elle est encore sujette à caution et doit être corroborée par d’autres tests, des analyses faites le 28 juillet ayant contredit ce résultat – devait être prise comme un signal « confirmant leurs alertes ». Les deux syndicats n’auraient cessé de pointer l’ampleur des nuisances générées par ces travaux, depuis leur lancement l’été dernier.
Ces agents chargés de la domiciliation administrative des sans-abri ont ainsi, pendant un an, continué d’exercer leurs missions pendant que le site où leur service est implanté (un bâtiment de la Poste situé rue des Renaudes, dans le 17e) était littéralement « désossé ».
Bruit incessant et chutes de gravats
Bruit incessant des « marteaux-piqueurs », nuages de poussières, manque de ventilation, chutes de gravats, « engendrant un stress » des deux côtés du guichet, avaient conduit l’Unsa à lancer une alerte le 29 avril pour « danger grave et imminent » à laquelle s’est jointe la CGT.
Face à cela, la direction aurait « minimisé le problème », selon Gérard Jacquemoud, le représentant de l’Unsa. Contactée par l’Humanité avant l’annonce de cette victoire, la Ville de Paris affirmait que « simple occupante des lieux, elle n’avait pas été informée en amont ni du calendrier précis ni de l’ampleur des travaux et de leurs impacts potentiels sur les agents » et pointait le retard de La Poste à lui fournir les informations demandées.
Le 28 juillet, devant le siège de la CASVP (12e arrondissement), peu avant d’entrer dans une instance F3SCT extraordinaire (formation spécialisée en matière de santé, sécurité et conditions de travail, qui remplace le CHSCT depuis 2023) organisée par la Ville pour discuter des mesures d’urgence liées à l’amiante, le syndicaliste et son homologue de la CGT, Simon Le Cœur, confiaient leur colère.
Une situation jugée « intenable » par les agents
« À l’Unsa, on n’est pas connus pour notre véhémence, précise Gérard Jacquemoud. Si on en est là, c’est que la situation est intenable et la réaction en face pas du tout à la hauteur. » Même constat pour Simon Le Cœur, selon qui ces travaux ont donné lieu à des situations « hallucinantes », comme « cette fois où, en plein entretien avec un usager, une collègue a soudain entendu exploser la fenêtre derrière elle ! »
Pour Alice et Sophie 1, deux agentes administratives venues manifester devant le siège, leur travail était devenu impossible. « On était vraiment à bout. Certains se repliaient dans la petite cuisine pour travailler. Même la salle de pause était devenue un lieu de souffrance », témoigne Sophie.
« Pour se faire entendre des usagers avec le bruit des travaux, il fallait crier, ce qui n’aide pas à apaiser le stress des gens déjà épuisés par l’attente », abonde Alice. La Ville met pour sa part en avant les mesures d’aménagement instaurées à partir de juin, notamment la « fermeture du site sur la pause méridienne, le recours au télétravail, des fermetures les jours de bruit ”intense” ».
200 personnes accueillies par jour pour 7 places assises
Mais, selon les deux collègues, ces nuisances se seraient greffées sur un terrain déjà miné par des problèmes structurels depuis la naissance de ce service, en 2020. La Ville de Paris affirme pourtant que la volonté présidant à sa création était d’améliorer la qualité du service en regroupant sur un seul lieu, en partenariat avec La Poste, des missions jusqu’alors réparties sur trois sites non spécialisés, ce qui a permis « de tripler le nombre de boîtes aux lettres ».
« Même avant les travaux, c’était inhumain », maintient Sophie, qui énumère ces dysfonctionnements. À commencer par la précarité du personnel, pour moitié des contractuels, mais aussi la question de la promiscuité. Les quelque 200 usagers qui se présentent chaque jour dans le service de domiciliation – le plus grand de France avec ses 15 000 boîtes aux lettres – doivent patienter à l’extérieur.
Seules sept places assises seraient disponibles et seulement quatre guichets de réception ouverts. « La configuration des lieux ne se prête pas à un accueil digne. Des personnes qui parfois font la queue depuis 4 heures du matin n’ont même pas l’assurance de voir leur dossier traité dans la journée », ajoute Alice.
« Les gens sont essorés »
Peu surprenant, selon elle, que cela génère frustration et parfois violence parmi des usagers souvent en souffrance psychique. « Il y a déjà eu des menaces de coups de couteau », confirme Gérard Jacquemoud. Pas étonnant non plus que le service soit soumis à un turnover : « On en est à la quatrième équipe depuis 2020. Les gens sont essorés et s’en vont car ils sont traités comme de la chair à canon », explique-t-il.
Si un repli dans d’autres locaux à partir du 1er août a été acté, le syndicaliste déplore qu’il ait fallu que le problème prenne de telles proportions pour faire réagir la Ville. Qui assure, de son côté, « que toutes les mesures complémentaires nécessaires seront prises pour protéger les agents et, si la situation l’exige, pour tirer toutes les conséquences qui s’imposent ».
Dont peut-être celle de reconnaître, à travers cette prime, l’extrême difficulté à maintenir leurs missions au cours de l’année éprouvante qu’ils viennent de subir. À l’issue de l’instance F3SCT, un suivi médical a par ailleurs été préconisé pour l’ensemble des agents potentiellement exposés aux poussières d’amiante avec une fiche de suivi tout au long de leur carrière, selon les informations transmises par les syndicats.