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REPÈRES
1650 Début de la culture sucrière intensive à la Guadeloupe. Des milliers d'esclaves capturés en Afrique de l'Ouest sont réduits au travail forcé dans les champs de canne.
1910 En février, des grèves massives d'ouvriers agricoles secouent l'île, épicentre de la contestation sociale aux Antilles.
1928 L'usine Duval est détruite par un cyclone le 12 septembre.
Les 3 et 4 février 1925, des petits planteurs de canne à sucre manifestent pour obtenir une meilleure rétribution de leur travail. Dans les Antilles post-esclavagistes, leur lutte est réprimée avec violence par l'État colonial. Le bilan s'élève à six morts.
Le mois de février marque le début des récoltes de la canne à sucre aux Antilles. En Guadeloupe, où subsiste encore une industrie sucrière, un mémorial situé sur le site de l'ancienne usine Duval, au nord de Grande-Terre, témoigne des luttes sociales qui ont émaillé l'histoire de cette ancienne colonie. Six pierres sont posées en hommage aux six ouvriers tués le 4 février 1925 pour avoir revendiqué une meilleure rétribution de leur travail.
Duval, implantée en 1844 à Petit-Canal, est alors conçue comme une usine centrale qui concentre la production et achète la matière première aux petits planteurs environnants. Ces derniers sont des descendants d'esclaves qui, à l'abolition définitive de l'esclavage en 1848, se sont vus octroyer un petit lopin de terre pour continuer la culture de la canne à sucre. En contrepartie, ils survivent dans des conditions déplorables, à la merci des propriétaires d'usines.
« La Guadeloupe est une "ile-entreprise" qui intéresse la France en uniquement pour la culture de la canne à sucre. Y cultiver autre chose est impossible. Tout est fait pour tirer vers le bas les salaires et le coût de la production, de manière à compenser le prix du transport et du raffinage réalisé à Marseille », explique Marie- Christine Touchelay, enseignante histoire à l'université des Antilles et chercheuse rattachée à l'Idhes Paris 8 (Institutions et dynamiques historiques de l'économie et de la société).
Le 3 février 1925, plusieurs producteurs demandent à négocier le prix de la tonne avec l'administrateur de Duval qui en propose 66,60 francs, alors qu'une autre importante usine en offre 68,65 francs.
LE PRIX DU SANG
"La situation à Duval n'est pas seulement mauvaise techniquement, mais aussi en ce qui concerne les relations sociales. La direction serre les coûts au maximum pour éviter l'effondrement total, et elle le fait essentiellement au détriment des petits planteurs qui fournissent à l'usine la majeure partie des cannes", écrit Christian Schnakenbourg, dans un article consacré aux usines de Petit- Canal publié dans le Bulletin de la société d'histoire de la Guadeloupe.
Alors que les discussions achoppent sur un tarif à 70 francs. La situation dégénère. La gendarmerie, appelée en renfort sur ordre du gouverneur, tire sur la foule: six manifestants sont tués, sept autres sont blessés. Finalement, le prix de la tonne sera fixé à 73 francs; le résultat d'une lutte violemment réprimée.
"Les petits planteurs, qui n'ont pas la possibilité d'emprunter, sont très dépendants des aléas climatiques et seront complètement ruinés lors du cyclone de 1928", raconte Marie-Christine Touchelay. L'historienne ajoute: "Aujourd'hui, à Marie-Galante, le début de la récolte de la canne à sucre donne toujours lieu à des discussions tendues entre petits planteurs et usiniers du coin." Preuve que les Antilles n'en ont pas fini avec leur passé colonial?
SARAH DELATTRE
"La Vie Ouvrière" ensemble février 2025